Intro : Où est passée la double pédale à la radio ?

La scène métal française, c’est un océan de groupes qui suent sang et passion, une myriade de fans prêts à sacrifier des tympans pour une octave de plus… bref, une culture vivante. Pourtant, essaie donc de capter Gojira, Tagada Jones ou Mass Hysteria entre deux tubes des années 80 sur la FM. Spoiler : tu risques surtout de t’en prendre aux boutons de ton autoradio. L’absence du métal sur les grandes ondes françaises, c’est comme si on tentait de faire une raclette sans fromage : absurde, creux, frustrant.

Un peu d’histoire pour l’ambiance : la radio française et le métal, une histoire d’amour platonique

Retour dans les années 80 : Trust fait trembler les murs, les mômes s’arrachent les vinyles d’ADX, Sortilège, Vulcain. On a même droit à des émissions cultes comme « Wango Tango » sur Europe 1, et des passages (timides) dans des émissions généralistes (Bernard Lenoir sur France Inter, respect). Mais globalement, le métal reste le vilain canard, toléré à la marge, mis dans la case “bruit de sauvage”. Flash-forward en 2024 : c’est le blackout. Zéro émission métal sur les grands réseaux nationaux. Même les radios de niches, du genre Ouï FM ou feu Le Mouv’ (aujourd’hui rebaptisé Mouv’ et voué au hip-hop), ont déserté la scène.

Les chiffres qui tabassent : le métal sur les ondes, c’est quoi concrètement ?

  • En 2021, d’après le CSA (source), le rock représentait… 3% de la programmation totale sur la FM. Spoiler : le métal, lui, n’existait même pas en catégorie.
  • Sur France Inter, recalibrée “grand public”, aucun titre estampillé “metal” n’a été diffusé en journée depuis 2019.
  • Les quotas français imposent 40% de musique francophone, qui profitent majoritairement aux grandes machines pop/variété/rap.
  • Enquêtes du SNEP (source): moins de 0,1% des diffusions radio sont associées à la catégorie “metal/hard rock”.
  • Entre 2020 et 2023, seuls deux groupes français métal (Gojira et Mass Hysteria) sont passés en playlist de rotation sur une radio nationale… une fois chacun.

Imagine la scène : tu as plus de chances d’écouter du Céline Dion en boucle sur une radio “rock” française que d’entendre un blast beat. Oui, c’est tragique.

Pourquoi ce grand exil du métal sur la FM ?

L’alibi facile : “Le métal n’intéresse pas les gens”

  • Argument numéro un des programmateurs : “Il n’y a pas de public !” Sérieusement ? Les festivals comme le Hellfest, 60 000 places sold out en 1h, te remercient pour ce raccourci…
  • Les ventes de Gojira frisent les sommets (l’album “Fortitude” a décroché la 12ᵉ place du Billboard US et s’est hissé dans le Top 5 des charts français).
  • Mass Hysteria, Lofofora, Ultra Vomit ou Landmvrks remplissent les salles. Mais à la radio, c’est l’omerta.

Ce désamour auto-entretenu sent fort la peur du risque. La FM française reste coincée sur des formats hyper conventionnels, bouffés par la pub ou obsédés par la course à la ménagère de moins de 50 ans. Le métal, trop subversif, trop bruyant, trop “pas pour tout le monde”. Traduisons : le problème, c’est pas l’absence d’auditeurs, c’est juste qu’ils n’ont pas les mêmes costumes-cravate que les décideurs.

Et l’explication économique des experts de comptoir ?

  • La radio, en crise, cherche l’audience de masse. Or, l’audience métal, pourtant fidèle et passionnée, est perçue comme trop segmentée, donc pas “bankable” pour les annonceurs.
  • Les playlists mainstream sont pilotées par des algorithmes et consultants extérieurs, qui ne voient dans le metal qu’un “sous-genre” du rock ou carrément un repoussoir.
  • Les radios périphériques (RTL, Europe 1, France Bleu) visent la maximisation du temps d’écoute. Le métal, avec ses hurlements growlés et ses riffs tordus, serait un “zappeur” du côté du public large.

Paradoxe délicieux : les chiffres d’IFOP/Deezer en 2019 montraient que 15% des moins de 35 ans citent le métal parmi leurs genres favoris en streaming. Donc, la soif existe. Mais la FM reste sourde.

La survie du métal à la radio : quelques poches de résistance (mais faut une bonne antenne)

Accroche ton tuner, on entre en zone underground. Car oui, si la FM classique se fait la belle, le métal subsiste sur les marges :

  • Radio Metal (site officiel) : web-radio pionnière et média de référence en France, diffuse 24/7 du métal, avec émissions, interviews et formats longs.
  • Fajet (Nancy) : chronique “Noise in Fajet” chaque semaine.
  • Rock Fort Show sur Radio Coteaux (Sud-Ouest) : résistance locale avec playlist hard et metal.
  • Radio Campus (en réseau sur plusieurs villes) propose parfois des créneaux “métal” le soir… Mais faut être insomniaque (ou étudiant en thèse).

Aucun de ces bastions n’a la portée de Skyrock ou Nostalgie, faut pas rêver. Mais ils maintiennent la flamme, et prouvent qu’une communauté existe. Preuve, Radio Metal revendique plus de 500,000 auditeurs mensuels en 2023 – des chiffres loin d’être ridicules pour un média indépendant (Radio Metal).

La fuite sur le net : quand les métalleux débranchent la FM

On ne va pas se mentir : la communauté métal a migré en masse vers le streaming et le web. Pourquoi s’entêter à attendre du Slayer à 15h sur une radio généraliste quand Spotify ou Bandcamp offrent des playlists death, black, thrash et métalcore à volonté ?

  • Youtube abrite des chaînes cultes (Sabaton History, ARTE Concert), offrant interviews, captations live de festivals, conférences (oui, il y a des métalleux diplômés).
  • Podcasts comme “Metal Bla Bla”, “Sonic Evasion”, “Dans le Secret des Dieux” explosent les codes, avec des milliers d’écoutes à chaque épisode.
  • Playlists collaboratives: Sur Spotify, Deezer, même Apple Music, le métal français explose… mais dans l’anonymat des algorithmes.

Ce basculement numérique ruine-t-il tout espoir de voir le métal regagner la FM ? Pas forcément. Mais il confirme une chose : le public existe, il attend juste qu’on le serve.

La scène hexagonale privée de micro, mais pas de voix : qui perd quoi dans l’affaire ?

  • Les artistes : Moins de visibilité “gratuite”, donc plus difficile de sortir du carcan “niche”. C’est prouvé : l’absence radio freine la reconnaissance auprès du grand public. Case départ quasi-obligatoire : faire tous les bars, tous les PMU, pour décrocher sa place en fest.
  • La scène indépendante : Difficile de fédérer au-delà du cercle déjà conquis. On milite, mais c’est un marathon en côte.
  • Les fans : Redouble d’efforts pour promouvoir ses groupes préférés, tout en se tapant du Ed Sheeran et Indochine en boucle sur la FM.
  • Les radios elles-mêmes : Manque de renouvellement, perte de jeunes auditeurs, image ringarde face à Spotify/Twitch/Youtube.

Un joli cercle (pas vraiment) vertueux.

Ce que le métal français attend : moins d’excuses, plus de décibels

  • On est en 2024. Les frontières musicales sont perméables. Les tubes d’architectes du hip-hop flirtent avec le hardcore (cf. Post Malone, Machine Gun Kelly), des collabs pop-metal percent au UK et aux US.
  • La France se planque derrière ses vieilles habitudes, mais il y a de la place pour tout le monde. Les projets comme “Retour de Flamme” sur Radio Metal, “W-Fenec”, “Metalorgie” montrent qu’une programmation “ouverte” est faisable… et attendue.
  • L’inclusion du métal dans les festivals nationaux a explosé en 5 ans : Les Vieilles Charrues, Solidays, Printemps de Bourges programment du métal lourd, c’est un signe, non ?

La FM française ferait bien de tendre l’oreille – ou alors, qu’elle sache qu’on n’aura pas peur de faire trembler les murs autrement.

FM sourde, web sauvage : un choix à faire, ou une rébellion à organiser ?

Alors, oui, la radio française a largement tourné le dos au métal. Pas par manque de public ou de créateurs, mais par inertie et peur de sortir du moule. L’underground continue de rugir, d’innover, de rallier une nouvelle génération de furieux qui ne passera plus par la case FM pour s’éclater. Mais paradoxalement, c’est peut-être ça la victoire. Moins dépendants, plus libres, les acteurs de la scène métal inventent leur propre média, refusent les compromis, et fédèrent une communauté soudée prête à se passer des vieilles ondes. Tant pis si la FM fait la sourde oreille ; la révolte s’écoute ailleurs… et elle n’a jamais eu aussi bon goût.

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