Chaque fois qu’un tremplin télé, un prime time ou un énorme papier de la presse généraliste cause rock ou “musique actuelle”, on a droit à la même limonade tiède : on zappe le métal ou, pire, on le caricature façon “Satan et pogos furieux”. La réalité, c’est que la médiatisation du métal français est quasi-inexistante hors des sentiers balisés (mad props à Hard Force et Rock Hard qui résistent encore et toujours à l’envahisseur mainstream). Les mastodontes comme France Inter, Le Monde ou France Télévisions accordent au mieux un encart occasionnel pour Gojira ou Mass Hysteria, mais sur la scène émergente ? Silence radio.
Et les chiffres font mal : en 2023, l’étude d’IRMA (Centre d’Information et de Ressources pour les Musiques Actuelles) souligne que moins de 1% des passages radio sont consacrés à la sphère hard, métal inclus. Sur les réseaux sociaux, les clips métal français cartonnent dans des cercles fermés, mais peinent à percer au-delà, étouffés par l’algorithme.
La radio, c’est censé être le carburant de la découverte musicale. Problème : le métal y occupe la place du passager qui n’a pas payé sa part de McDo. Les émissions généralistes l’ignorent, et les rares exceptions (“Bring The Noise” sur OÜI FM, “W.Fenec” sur Radio Metal ou les podcasts spécialisés) sont reléguées à des horaires aussi visibles que la face B d’un album d’Ulver. À tel point que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel recensait en 2022... zéro émission régulière consacrée exclusivement au métal sur les grandes ondes publiques. Pas étonnant que l’accès au grand public soit aussi bouché qu’un fossé de Hellfest après l’averse.
Sans relais médiatique, même les groupes les plus nerveux tapent dans le vide. Pas d’expo, pas de public neuf.
Quand il s’agit d’avancer du cash, les labels français se tiennent à distance de la scène métal comme un végétarien d’un barbecue carné. Les majors (Universal, Sony) investissent rarement hors des sentiers balisés (Gojira est l’arbre qui cache une forêt famélique). Pour preuve, le CNM (Centre National de la Musique) souligne que les aides attribuées au développement des musiques actuelles n’atteignent le métal qu’environ 6% du total, là où le rap/dance tourne autour de 45%.
La faute à quoi ? À un marché réputé “de niche”, à un ROI trop incertain, et à une industrie française qui adore balancer des phrases façon “ça ne passe pas en radio”. Le serpent se mord la queue : pas de promo, pas de visibilité, pas de marché... pas d’investissement.
“Le métal doit-il forcément s’écrire en anglais ?” Vieux débat à rallumer à chaque after show. Côté export, c’est souvent un frein : même si les ricains raffolent de Shakira qui roule les “r” en espagnol, le growl en français, lui, les déroute. Très peu de groupes ont percé hors frontières avec des textes en français (Mass Hysteria, Lofofora... sur les doigts d’une main). Les festivals européens sélectionnent rarement les groupes hexagonaux “frenchy speaking”, et la barrière de la langue reste un mur épais à l’international.
Pour la France, c’est l’inverse : beaucoup hésitent encore à assumer textes crus et argot local, préférant suivre le “code” établi par les ténors US/UK. Dilemme cornélien, alors que la scène rap, elle, n'a aucun complexe de ce côté.
En France, monter un groupe de métal, c’est signer pour une galère logistique digne d’un road trip dans le van de Motörhead, suspension cassée en prime. Les studios abordables sont rares et souvent bookés par les scènes rap, électro ou chanson. Côté salles, beaucoup s’auto-proclament “musiques actuelles”, mais grillent du métal sur des horaires impossibles (goûter, 17h, places assises... la fête).
Les structures de production se concentrent à Paris, Lyon, Toulouse ou Nantes, générant des déserts culturels partout ailleurs. Le cas du Havre ou de Mâcon : peu de studios pro, peu de tourneurs, labels locaux sur le fil. Résultat : beaucoup d’auto-production, et un son qui dépend trop du matos de la cave parentale.
Heureusement, des structures comme Klone Records ou Season of Mist prouvent qu’une vraie dynamique pro est possible. Mais la route est longue vers l’union sacrée.
Le réseau des salles live, pourtant vital à toute scène, rétrécit comme un t-shirt noir lavé à 60°C. Depuis les années 2010, plus d’une centaine de petits bars/concerts (L’Empreinte, Le Klub, Le Bus Palladium à Paris, Le Sonic à Lyon, etc.) ont fermé ou revu leur programmation pour “éviter les dérapages” ou “diversifier vers des formules café-théâtre/jazz”.
Même les grands festivals ne compensent pas : selon France Festivals, moins de 7% des programmations en France 2023 accordaient une part significative au métal – et encore, grâce au Hellfest, Motocultor et Download FR (RIP en 2022), qu’on ne présente plus !
Soyons réalistes : le géant Hellfest (plus de 240 000 visiteurs en 2023, selon la presse locale) est l’arbre qui domine la plaine métallique. Mais côté festivals “généralistes”, la tentation, c’est souvent de parquer le métal sur une petite scène périphérique ou de ne l’inviter qu'en guise d’épice dans la marmite pop/variété.
Côté SOLIDAYS, Eurockéennes, Francofolies – le plafond de verre est réel. Même dans les “open air” régionaux, le métal sert parfois d’alibi diversité sans vraie place pour les nouveaux groupes – sur 400 groupes programmés aux Eurockéennes de Belfort sur les 10 dernières éditions (source : Eurockéennes.fr), moins d’une dizaine étiquetés métal pur et dur.
La peur du cliché “public casseur” ou “musique extrême” bride l’audace des programmateurs. Résultat : les fans restent entre eux, et la scène s’autoalimente sans jamais exploser au grand jour.
Le métal traîne son lot d’idées reçues plus lourdes qu’un riff de Sepultura. Pour l’opinion publique, le métalleux reste un animal étrange entre le black block et le troll nordique. La une de Libération post-Hellfest ou la tribune de Le Figaro dénonçant “l’apologie de la haine” lors de certains concerts en 2019 en est l’illustration éclatante.
Conséquences ? Le grand public boude. Les parents jeunes évitent d’y emmener fiston ou fiston-ne. Les médias généralistes n’invitent pas de groupes métal dans leurs galas caritatifs ou plateaux TV. Même la filière scolaire classe le métal en dehors de toute pédagogie musicale classique.
Combien faudra-t-il de documentaires ou d’émissions spéciales pour casser cette bulle ? Le chemin est encore sinueux, mais la jeune génération commence à secouer l’édifice, notamment via TikTok ou Twitch (succès d’influenceurs comme Laink & Terracid sur leurs “soirées vinyls”).
Entre 2021 et 2024, la scène française a vu émerger un regain de groupes DIY, une professionnalisation des labels indépendants et – paradoxe – un appétit intact pour le chaos sonique… sans vraie ouverture médiatique. Les réseaux sociaux tissent désormais leurs propres fils, permettant à des collectifs comme La Horde Metal, Metalorgie ou United Rock Nations de compenser, à leur échelle, le désintérêt global des gros médias.
Le combat continue : pour que le métal français sorte enfin du bois, il faudra briser ses chaînes – et pas qu'en blastant des doubles croches. Médiatisation, ouverture, soutien pro et réveil des programmateurs : la scène ne manque pas de talent, mais il lui faut un vrai méga-mégaphone.
Le métal français n’attend qu’un déclic, et une nation entière pourrait bien reprendre le cri. À la prochaine accolade sous les strobos, bière chaude en main.