C’est l’été, les affiches de festivals surgissent partout : Solidays, Francofolies, Rock en Seine, Main Square… Ça brille, ça promet la crème du live, “éclectique” qu’ils disent, “tous les genres” qu’ils jurent. Éclectique ? Allons donc. Sur la vingtaine de gros festivals généralistes français (hors Hellfest & Download, qui vivent dans leur propre galaxie), combien accordent une place digne à la folie métallique ? On a vite fait le compte : à peine une poignée, souvent cantonnés à une scène secondaire, créneau du dimanche après-midi, histoire de briser le silence entre deux stars électro et un rappeur en marinière.
Un rapide coup d’œil sur les éditions récentes suffit à doucher les illusions. Prenez Rock en Seine (2023) : sur près d’une centaine d’artistes programmés, deux groupes vaguement métal (Gojira, WV Sorcerer), et encore, le mot « métal » n’est jamais prononcé dans la communication officielle. Francofolies ? Solidays ? Le métal n’existe tout simplement pas dans leurs grilles, même en mode fusion gentil. Pourtant, il s’agit de festivals qui se disent “pour tous” – tous, sauf les amateurs de décibels bien chaotiques.
Pourquoi cette allergie au métal chez ces faiseurs d’événements ? On pourrait croire à une question de goût du public, mais la réalité, c’est surtout un beau sac de clichés réchauffés, vieux comme le gilet en patch d’une première partie d’Anthrax.
Croire que le métal ne vend pas en France, c’est ignorer quelques records récents. L’an passé, le Hellfest a accueilli plus de 240 000 participants sur 4 jours, avec des pass épuisés en quelques heures chaque année (France TV Info), un record imbattable. Le Motocultor reste sold out à chaque édition. Même les salles de taille moyenne affichent complet pour Gojira, Tagada Jones, Mass Hysteria.
Mais du côté des gros festivals généralistes, la logique est différente :
Un seul festival métal français tutoie les sommets du mainstream : le Hellfest. Depuis sa création en 2006, il joue à guichets fermés avec des têtes d’affiche à faire trembler n’importe quel line-up européen. Pourtant, hors Hellfest et Download France (RIP, 2018-2019), aucun événement généraliste n’a tenté de donner au métal une place proportionnelle à sa communauté.
Pourtant, les signaux sont là :
On pourrait croire à une “simple question d’équilibre artistique”, mais la vérité saute au visage : c’est surtout la peur de l’altérité sonore qui guide la main des programmateurs. Gérer un plateau où se fréquentent Juliette Armanet et Igorrr, Clara Luciani et Hangman’s Chair, est-ce si complexe ? Pas plus qu’ailleurs en Europe, où Primavera Sound (Espagne, 2023) affiche sans trembler Depeche Mode, Ghost, et Kendrik Lamar. Chez nous, le mélange des genres reste suspect, de peur de bousculer l’expérience d’écoute planifiée, playlistée, calibrée pour le post Instagram du lundi matin.
Petit rappel pour ceux qui pensent que le métal c’est “trop underground pour la scène” : la France est le 6e marché musical mondial (IFPI, 2023), et 4e en Europe pour la consommation de métal (source : Spotify, 2022). Pourtant, seuls 7% des groupes programmés dans les vingt plus gros festivals généralistes français sont issus du rock/hard/metal (reposant sur le décompte 2023 réalisé via les sites officiels).
Tout n’est pas perdu. Quelques signaux faibles pointent le bout de leur médiator :
Face à un audimat qui bouge, les vieilles habitudes finiront par craquer. L’expérience scénique, viscérale et authentique, est la marque de fabrique du métal. Ce ne sont ni les chiffres, ni le public, ni la qualité qui manquent : c’est l’audace. La France adore laisser son chaos à la porte, comme un cousin trop bruyant au repas de famille. Dommage : c’est souvent dans le désordre le plus fécond que la magie opère.
Alors, à quand un vrai big bang sur les scènes généralistes ?