Personne n’a jamais retrouvé le Graal. Par contre, tout le monde trouve du Iron Maiden en festival ou du Metallica en radio… mais essaye donc de dégoter un bon Gojira, Klone, Benighted ou Regarde Les Hommes Tomber sur une grosse playlist française, en dehors des circuits spécialisés. Spoiler : bon courage. Quand on parle de médiatisation du métal en France, on attaque direct un riff dissonant. Une scène foisonnante, inventive, mais traitée comme une bête exotique, planquée loin des projecteurs du mainstream.
La France n’a jamais manqué de musiciens à tignasse ni de dextérité sur la double pédale. Ce qu’il lui manque souvent, c’est une exposition sérieuse. On pourrait croire que l’arrivée d’internet a tout nivelé et permis aux outsiders de percer plus facilement… Mais spoiler n°2 : le web, c’est l’enfer de la saturation, pas le paradis de la découverte. Les mecs de l’underground y bossent autant qu’avant, pour deux fois moins de reconnaissance.
Petit jeu de chiffres : selon le CNM (Centre National de la Musique), le métal ne représentait en 2022 que 1,7 % des écoutes sur l’ensemble des plateformes françaises (source : CNM, baromètre « Les écoutes musicales à la maison », 2023). Côté radio, c’est pire. Hors émissions spécialisées (presque toutes reléguées en nocturne, histoire de ne traumatiser personne à l’heure du dîner), la place du métal est anecdotique.
Le métal traîne encore en 2024 la réputation du vilain canard musical, coincé entre préjugés ridicules (« ils hurlent tous, c’est du bruit ») et snobisme culturel à la française. Le Grand Journal de Canal+ s’est cru punk-rock pendant trois saisons, mais pour programmer Lofofora ou Mass Hysteria à une heure décente… il faut toujours repasser.
Résultat : à part quelques coups d’éclat épars (Victoire de la Musique 2017 décernée à Gojira—sensation polie, mais retombées médiatiques quasi-nulles ensuite), l’impact dans la presse ou à la radio reste minime. Et quand un groupe français sort la tête de l’eau, c’est souvent pour être encensé à l’étranger. Le serpent se mord la queue, et ça ne fait pas du bien à l’underground local.
Le manque de relais média, ce n’est pas juste une histoire d’ego ou de jalousie entre scènes. C’est aussi une question de survie artistique et économique pour tout un microcosme :
On pourrait élargir : selon une étude de l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry, Global Music Report 2023), le rock et le métal réunis ne pèsent que 11 % du marché français de la musique enregistrée. Dans les festivals, le Hellfest se pose comme exception géniale… alors que la plupart des événements spécialisés galèrent pour remplir des salles de 300 places. Et sans relais médiatique, impossible de faire grossir l’audience en dehors du cercle des déjà-convaincus.
Parlons des professionnels. Les labels français qui taffent dans le métal (Season of Mist, Les Acteurs de l’Ombre, Verycords) ont un mode de fonctionnement plus proche de la PME familiale que de la multinationale pop. Ils investissent dans la promo, OK… mais face à une industrie qui met 90 % de son budget sur Aya Nakamura ou Jul (chiffre SNEP 2022 : 8 artistes trustent 54 % des diffusions radio sur l’année), c’est un combat Goliath/David, version blast beat.
Difficile dans ce contexte de s’offrir une campagne promo digne de ce nom dans les médias généralistes. D’autant que dans la presse musicale, la crise de la presse papier française a fait des ravages (fermeture de Hard Rock Magazine en 2017, Rock Hard racheté in-extremis par les lecteurs en 2021). Résultat ? S’il reste une poignée de blogs passionnés et de web-radios, le grand public ignore tout ou presque de la vitalité métal tricolore.
Faut-il obligatoirement passer par les US ou l’Allemagne pour exister ? L’exemple de Gojira fait rêver, mais pose question. Malgré leur statut (groupe de métal extrême français le plus reconnu au monde), ils doivent leur explosion à l’export, et non à un quelconque soutien « hexagonal » structuré. Quand ils remplissent des arenas américaines ou sont invités par Metallica, la presse française se réveille… le temps d’un papier vite rangé au placard dès le buzz passé.
Idem pour Igorrr ou Alcest, qui fédèrent un public mondial mais restent surtout des icônes underground dans le paysage français. L’exception confirme la règle : il faut souvent la reconnaissance extérieure pour avoir droit à un carton d’invitation à la maison.
YouTube, Bandcamp, Twitch, Facebook : une scène entière s’est réfugiée là pour construire son public, avec des résultats parfois bluffants. Le succès du Hellfest en direct sur Arte Concert (jusqu’à 1,3 million de vues cumulées sur certaines éditions—source : Arte, 2023) montre le potentiel.
Mais seules quelques têtes d’affiche émergent du lot. La masse sous-marine des groupes reste tributaire des algorithmes, qui, même sur Spotify, poussent encore majoritairement les 100 mêmes titres globaux (voir statistiques Spotify Charts 2023). L’effet « bulle » se renforce : pour trouver du métal français, il faut déjà vouloir chercher du métal français.
Ce n’est pas la créativité qui manque, mais bien la caisse de résonance. Des groupes comme Perturbator fusionnent synthwave et musicalité sombre, Hangman’s Chair fédère la marmite doom/sludge, Birds in Row cartonne sur le circuit européen hardcore… Mais faute de relais dans les médias nationaux classiques, ils continuent à jouer les clandestins dans leur propre pays.
Côté événementiel, même topo : les concerts hors Hellfest ou Motocultor restent majoritairement cantonnés aux circuits indépendants ou municipaux, quasi-invisibles pour le quidam.
Alors, faut-il sombrer dans le fatalisme ? Rien n’est moins metal que le défaitisme. Des progrès, il y en a, portés par des initiatives solides :
La médiatisation du métal français n’est ni impossible ni vouée à l’échec, mais elle exige une stratégie plus offensive, de la solidarité et surtout une volonté de la part des décideurs médias d’arrêter de jouer frileux. Quand on voit l’engouement autour du Hellfest ou le poids des communautés métal sur les réseaux (plus de 170 000 membres sur le groupe Facebook Hellfest Cult), il y a de quoi faire exploser les cloisons.
La réalité, c’est simple : tant que le métal sera traité comme la pièce rapportée des médias, la scène française restera trop souvent tapie dans l’ombre. Mais derrière la façade blindée persiste une vitalité irréductible — une armée de groupes, de labels, d’activistes et d’auditeurs qui refusent d’accepter le silence imposé.
Qu’on le veuille ou non, le futur passera par les coups de boutoirs conjoints des artistes, des fans et des médias prêts à déjouer l’indifférence. Des riffs, il y en aura toujours pour réveiller les consciences bien-pensantes. Plus qu’un cri du cœur, une déflagration : le métal français n’attend plus que son heure de chaos médiatique.
Alors, la prochaine fois que tu bloques devant une playlist trop lisse, pose la question autour de toi : qui, dans les médias, aura le courage de faire enfin du bruit pour le métal hexagonal ? À bon entendeur… et vive la distorsion.