Le streaming, ce cheval de Troie au sourire pixelisé

C’est l’histoire d’un riff qui voulait traverser l’Atlantique mais se retrouve compressé à 128 kbps sur Spotify. Qui aurait cru, dans les années 90, que nos cassettes bootleg seraient un jour remplacées par une plateforme qui balance seize déclinaisons de “Heavy Metal Workout” dans le dos des groupes ? Le streaming c’est la promesse d’une audience mondiale… mais aussi l’art de se faire plumer sans même s’en rendre compte. Opportunité ou menace ? Spoiler : c’est plus compliqué qu’un timbre vocal de King Diamond.

Le streaming en chiffres : gains, pertes et arnaques 2.0

On commence direct dans le gras : une étude publiée par le CNM en 2023 révèle que sur les 25 milliards d'écoutes déclarées en France en 2022, seulement 2 % concernaient le rock et le métal (Source : CNM, 2023). Impressionnant, non ? Surtout quand tu sais que Jul, Aya Nakamura et PNL trustent 60 % du Top 200 français sur Spotify (merci la diversité…).

Côté cash : selon une enquête menée par la Société civile des producteurs de phonogrammes en 2022 (SCPP), un stream génère entre 0,0025 € et 0,004 € pour l’artiste, à condition d’avoir signé un deal plutôt honnête. 1 million d’écoutes rapportent donc… entre 2 500 € et 4 000 €. Oui, tu as bien lu. Suffisant pour se payer deux amplis et trois cordes de guitare. Adieu Jet Privé, bonjour sandwich SNCF.

  • Spotify : 0,003€ par stream
  • Apple Music : 0,006€ par stream (champagne pour les outsiders)
  • Deezer : 0,004€ par stream
  • Youtube Music : 0,00069€ par stream (oui, y’a trois zéros)

Après passage par le label et l’éditeur ? Rajoute un invité sur le buffet, il ne restera que les miettes.

De la visibilité… ou l’illusion de la playlist

Le grand argument du streaming, c’est la découverte. Un groupe de grindcore champenois peut désormais tomber dans les oreilles d’un argentin insomniaque. Incroyable ! Mais la réalité ? Selon la FEDELIMA (la Fédération des lieux de musiques actuelles), 90 % du trafic sur Spotify est « consommé » par 1 % des artistes (Fedelima, 2023). Reste donc à bouffer les miettes, encore une fois.

Les playlists éditoriales sont devenues la version branchouille des radios FM des années 90. Qui décide ce qui rentre ? Des algorithmes, un peu de hasard, beaucoup de gros labels. La scène underground ? Elle doit ramer contre les tendances, et sans paddle.

  • Découverte réelle : 1 titre sur 10 000 fait plus de 50 000 streams sur Spotify France (Spotify Radar, 2022)
  • Playlists officielles métal France : Harder, Faster, Stronger (Spotify) totalise à peine 35 000 abonnés, vs. 400 000 pour le “Hits du moment”
  • Exemple concret : Gojira, mastodonte français, plafonne à 1,5 million d’auditeurs mensuels mondiaux. Korn : 7,5 millions.

Le streaming ? Pour les groupes indés, c’est comme jouer en première partie de Metallica avec un ampli 10W : tu as l’étiquette, mais on ne t’entend pas.

Le streaming, dynamiteur ou fossoyeur de la scène française ?

On ne va pas se mentir : pour certains, il y a un effet booster. Regarde LANDMVRKS ou Betraying The Martyrs : percée à l’international, fanbases dispersées aux quatre coins du globe (“Je mate tes stories depuis Jakarta, mec !”). Sans streaming, ces mecs seraient peut-être restés des secrets locaux.

Sauf que : la “longue traîne” n’a rien d’un Eldorado. L’écrasante majorité des groupes français cumule moins de 5 000 streams par mois, soit à peine de quoi s’offrir une tournée en covoiturage. Pour les labels indés et associations, c’est mission commando pour financer un pressage vinyle ou une captation live.

  • Le label Season of Mist indique que moins de 10 % de ses sorties génèrent assez de streams pour “couvrir” les frais de promo (Season of Mist, interview, 2023).
  • L’association France Metal recense plus de 1 500 groupes actifs, dont les trois quarts restent inexistants sur les plateformes (France Metal, 2023).
  • Le métal français sur Bandcamp : 3 fois plus de ventes qu’en streaming chez les groupes labellisés DIY (Bandcamp, 2022).

Nouveaux modèles : le streaming, laboratoire ou impasse ?

Quand tu ne vends plus de disques et que tu ne touches que la poussière des royalties, il faut innover. Le streaming, c’est la survie à l’ère du clic : l’objectif n’est plus de vendre, mais d’exister dans les flux. Conséquence ? Le public zappe, les albums se consomment en playlists hachées, la notion d’œuvre fondue dans le brouillard algorithmique.

Mais il n’y a pas que les dollars virtuels. Certains groupes retournent la matrice :

  • Le Merchandising : explosion des ventes de t-shirts, vinyles ultra-limités, tapes exclusives (cf. Rise of the Northstar ou Regarde Les Hommes Tomber)
  • Les plateformes alternatives : Bandcamp, Holy Roar, Vicious Circle créent des communautés ultra-engagées – moins d’écoutes, mais plus de soutien palpable.
  • L’accès direct aux fans : livestream, crowdfundings (Mass Hysteria – 1er album pressé à 1000 exemplaires via Ulule en 2022)
  • Expériences live hybrides : « Pay what you want » pour des concerts captés en home studio, new wave DIY post-pandémie.

Où va la révolte ? Reprends le pouvoir sur le son

La scène métal française n’est pas morte : elle mutile, elle mute – et elle crie. Mais elle refuse l’automatisation molle qu’impose le streaming, quitte à ramer à contre-courant. Clair que le streaming peut servir de passerelle, mais pas de seule boussole. Ce sont les fans qui ont le pouvoir : likes, achats directs, partages, soutien aux concerts (physiques, hein, pas qu’aux stories Insta).

Pour soutenir la scène, pas besoin d’un abonnement Premium à vie : découvre, partage, va voir des lives, paye ta galette au merch. C’est pas la nostalgie, c’est la survie. Si demain, la France sortait LE nouvel album culte extrême, il aurait plus de chances de circuler via le bouche-à-oreille métal et des fanzines digitaux que de truster les playlists officielles.

On n’a peut-être plus de Walkman noir dans la poche, mais tu peux encore faire du bruit. Le streaming : outil ou cage ? C’est toi, fan, qui décides. À toi de jouer.

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