Un genre encadré (voire étranglé) par la caricature

Oublions tout de suite la formule plan-plan : « Ah, le métal n’est pas compris en France. » C’est plus costaud que ça. Si tu as déjà mentionné à une réunion de famille que tu aimes le métal, tu as sûrement eu droit à l’un des combos gagnants suivants :

  • « Mais tu n’es pas sataniste, au moins ? »
  • « Ça ne fait pas trop de bruit, ce truc ? »
  • « On comprend rien aux paroles, de toute façon… »
  • « C’est une musique de mecs en colère, non ? »
Voilà, le portrait-robot de l’écouteur de métal par le grand public est prêt : chevelu, marginal, un peu bourrin, possessif de croix renversée. C’est aussi subtil qu’un solo de batterie de Lars Ulrich sous amphèt’. Et cette image, archi-collante, fait des ravages.

D’où viennent ces clichés ? Petite archéo-mythologie hexagonale

Le métal débarque dans l’Hexagone dans les années 80 (avec notamment Trust, Sortilège ou encore Warning pour les plus motivés du baccalauréat rétro). Sauf que la France, terre du bon goût pop/variété/intello, a toujours eu du mal à digérer ce son jugé barbare ou « anglo-saxon ». Ajoute à ça de grands moments d’incompréhension dans les médias. Flashback : le fameux reportage du JT de TF1 en 1996 sur le Hellfest (à l’époque appelé Fury Fest) qui traitait les métalleux comme des ennemis de la République. Le cinéma ne fait pas mieux, avec la ribambelle d’antagonistes en blousons cloutés, responsables de tout le mal du village dans les films français 80’s.

Mais la cerise sur la gratte : l’éternel flicage du look. T-shirt noir = symbole d’appartenance à une secte sauf que, news flash, ça va : le taux de criminalité chez les métalleux n’est pas vraiment supérieur à celui des fans de Francis Cabrel (source : Statista, aucune corrélation sérieuse entre musique et délinquance).

Dans le viseur : Les grands clichés anti-métal made in France

  • La confusion avec le satanisme ou l’extrémisme : La vieille rengaine, issue d’un mélange de mauvaises traductions (le « Black Sabbath » version catéchisme) et d’un manque abyssal de curiosité journalistique. En réalité, combien de textes parlent de mythologie, de fantastique ou de critique sociétale (Ecoute Déluge, Gojira ou Psykup et ose me soutenir que tout tourne autour du Diable).
  • Le cliché de la violence (musicale et physique) : Au-delà du son saturé, le métal est un genre qui canalise l’énergie voire l’agressivité, pas qui les cause. Les problèmes de violences dans les festivals métal ? Presque inexistants : le Hellfest affiche l’un des taux d’incident les plus bas de tous les gros events français, police comprise (Ouest France, 2022).
  • L’idée du manque de musicalité : Autre boulet : « Tout se ressemble, c’est que du bruit. » Sauf que derrière chaque breakdown se cachent des musiciens qui passent plus de temps à taffer leur théorie que la moitié des diplômés du conservatoire. La SFAP (Société Française d’Analyse des Pratiques musicales) rappelle d’ailleurs que la complexité rythmique du metal prog ou death rivalise avec la musique classique (source : étude 2019).
  • L’absence de diversité et le « boys club » : Le cliché de la meute d’hommes en noir est de plus en plus ringard. Chanteuses, bassistes, batteuses… La scène française compte des groupes portés à 100% par des femmes (Witches, Furies) et des projets non-binaires, preuves vivantes de la richesse actuelle du genre.

Chiffres à l’appui : Le grand public veut-il (vraiment) du métal ?

Sur le papier, la France n’est pas une terre vierge. Quelques chiffres :

  • 400 000 festivaliers sur 4 jours au Hellfest en 2022 : pas mal pour un « microcosme marginal ».
  • Environ 10 millions de Français se disent amateurs de métal, tous genres confondus, selon l’IFOP (2021).
  • La France compte au minimum 1200 groupes de métal actifs (recensement Metal-Archives 2023), soit plus qu’en Espagne ou en Italie, pays souvent plus « passion » dans l’imaginaire collectif.
  • 6% des ventes de disques physiques en France concernent du hard ou du metal (SNEP, chiffres 2022). Plus que la pop anglaise.
Mais le grand public, lui, ne saute pas le pas. Preuve : 80% des passages radio de métal sont concentrés sur des heures de faible écoute (Source : Baromètre Radios France Culture 2021). Et l’industrie ? Les majors françaises signent rarement du metal hors têtes d’affiche déjà adoubées par l’international (Gojira, Mass Hysteria).

Le métal sous le radar des médias mainstream : la vieille embuscade

Pas besoin de se déguiser en Chewbacca pour passer inaperçu sur France Télévisions. Si le métal français reste dans l’ombre, c’est aussi parce qu’il sert (mal) de faire-valoir, dans les reportages « À la rencontre de ces jeunes chevelus » ou les portraits édulcorés de fans du Hellfest. La grande majorité du temps, le traitement médiatique campe sur les clichés. Seule vraie exception : Arte qui, depuis une dizaine d’années, ponctue régulièrement sa grille avec des docs sur la scène metal (see Arte “Metal Moments”, 2022).

Reste que le circuit télé-presse-magazines généralistes n’accorde qu’un strapontin à la culture metal, moins par rejet que par fainéantise culturelle. Pourquoi se donner la peine, alors que le rock « classique », plus consensuel, autorise tous les poncifs (Cf. les sempiternels reports sur Johnny Hallyday ou Indochine – pas tout à fait la double-pédale).

Les clichés reflets du conformisme français ? (Et pourquoi ça coince…)

L’une des originalités (au sens sociologique) en France, c’est le poids du conformisme esthétique. Le métal, par son look, son bruit, ses postures, offre un refus radical des codes dominants. Là où l’Allemagne plie la scène metal dans son ADN (le Wacken accueille 85 000 personnes chaque année, soit la population d’une ville de banlieue !), la France préfère souvent marginaliser la différence. Il n’y a pas que pour le métal… mais, reconnaissons-le : cette musique en écroule plus d’un du côté des institutions ou de la presse culturelle.

Ajoutons à cela un problème générationnel : la vague « nostalgie » des années 80 (Europe, Scorpions, Trust) a laissé place à une scène moderne invisible sans suivis sur les ondes. Résultat : pour le quidam, le métal ce n’est ni le jazz ni le rap, c’est juste du bruit ancien. On préfère organiser des concerts « découverte » dans des médiathèques que de lâcher une vraie programmation dans les salles officielles hors grosses pointures.

Peut-on vraiment faire péter le plafond de verre en France ?

Tout n’est pas figé dans la rouille. La scène française, grâce à Internet et à la culture du streaming (Bandcamp, YouTube), commence à sortir la tête de l’underground. Les playlists Spotify voient Gojira, Igorrr et Hangman’s Chair tirer leur épingle du jeu hors du cercle des fans purs et durs. Le phénomène Metal Academie sur Twitch attire des milliers de jeunes qui découvrent un genre musical trop longtemps planqué sous leur nez.

Mais l’inertie est coriace. Sans relai médiatique dignes de ce nom, sans des politiques culturelles plus ouvertes, le métal continuera d’être réduit à une anecdote bruitiste dans l'imaginaire du grand public. Si la filière veut séduire hors du cercle déjà conquis, il va falloir briser plus que des guitares sur scène : il faut s’attaquer aux idées reçues, lever le pied sur l’auto-dérision toxique et oser porter haut la voix de la scène, sans mimétisme ni excuses. Bref, amplifier le chaos, gueuler fort, mais aussi tendre l’oreille au monde externe.

Car si le métal en France est encore vu comme la BO de l’adolescence rebelle qu’on oublie en grandissant, c’est à la scène de montrer qu’elle n’est ni une relique, ni une mobylette bruyante, mais un moteur culturel à la puissance intacte. Aux fans, groupes et pros de faire péter les chaines. Le plafond de verre, c’est déjà un appel à le fracasser. Tu suis ou tu regardes ?

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