Introduction : métal hexagonal, production bricolée ou moteur sous-estimé ?

Bienvenue dans l’arrière-boutique du métal français, un endroit où chaque ampli surchauffé cache une prise cassée et où chaque album auto-produit sent la bière tiède (et pas la championne du brassage artisanal). Les groupes crèvent d’envie, suent leur rage sur scène et balancent leurs tripes sans garantie de retour. On parle beaucoup de « scène vivante »... mais est-ce que les structures qui devraient lui filer le matos et le soutien sont réellement à la hauteur ? Spoiler : ça sent le bricolage et la débrouille, parfois à trop haute dose. Accrochez-vous, on va retourner l’atelier.

Les labels français : un patrimoine sous-dimensionné ?

Vous aimez les grandes familles du métal français ? Bien. Parce que côté structures, c’est pas la grande table du banquet, c’est plutôt l’apéro dans une cave de 12m². Les labels historiques, genre Season of Mist (Montpellier) ou Listenable Records (Lyon), font le taf et envoient fièrement Gojira ou Alcest sur la carte du monde. Sauf qu’on ne joue pas dans la même cour qu’une écurie Nuclear Blast ou Metal Blade : budget de promotion limité, développement à géométrie variable selon l’éclair de motivation ou la santé du marché (source : Bureau Export).

  • Le chiffre qui tue : moins de 4,7 % des ventes physiques et digitales de musique enregistrée en France en 2023 sont du métal ou apparentés, tous genres confondus (source : SNEP).
  • Labels français = staff restreint, structure agile MAIS ressources marketing OUTRIDÉES par les mastodontes anglo-saxons.
  • Les signatures "impossibles" : des groupes explosent, mais signent à l’étranger (cf. Gojira chez Roadrunner, Betraying the Martyrs chez Sumerian).

Résultat, la majorité des nouveaux groupes passent par la case auto-production et galèrent à franchir le cap du semi-pro. L’indépendance, c’est cool… sauf quand c’est faute de grives qu’on mange des merles (ou qu’on fait un split CD distribué à 30 ex dans le public du PMU local).

Studios et ingénieurs du son : niveau world class ou garage pur malt ?

"La France, ce pays où tu croises plus de candidats à The Voice que de types qui savent mixer une double pédale." Cliché salé ? Pas tant que ça… Les studios vraiment spécialisés métal, capables de faire sonner une gratte 7 cordes comme du béton armé, se comptent sur les doigts d’une main de bûcheron.

  • Studios référents :
    • Boss Hog Studio (Nîmes, Pierre Dacquay – Dagoba, Suppuration…)
    • Studio Sainte-Marthe (Paris, Francis Caste – Hangman’s Chair, Bukowski…)
    • Le Studio des Milans (Drôme, où Gojira a pondu "The Way of All Flesh")
  • Problème principal : Le coût à la journée pile dans la fourchette "estomac noué" pour 80% des groupes, donc sessions éclair, peu de pré-prod, et mix au lance-pierre.
  • Résultat fréquent : Des albums où la batterie claque comme une boîte à rythme 90’s, faute de temps ou de budget pour la prise live et l’editing sur-mesure.

On a donc une poignée de techniciens surqualifiés… pour une scène qui crève de locaux de répète à l’acoustique infâme et d’équipements à l’âge de pierre (oui, tu sais, les consoles Behringer fatiguées).

Tourneurs, bookers et managers : le désert, version blast-beat

Une date à Paris, trois dans des caves du centre, festival dans la Drôme "rémunéré" en pins & badges, tournée européenne en mode autopilotée (avec le GPS qu’a 10 ans de retard). Voilà le quotidien de la majorité des groupes. Côté structures, on est loin de l’usine à tubes.

  1. L’absence quasi-totale d’agences spécialisées métal. Il existe quelques figures (Régie Scène, Sounds Like Hell Prod à Lyon, Garmonbozia à Rennes), mais la grande majorité se concentre sur le punk/rock alternatif.
  2. Approche do-it-yourself, parfois jusqu’à l’os : groupes qui montent leurs propres structures de booking, fanzines qui font office de relais sur les réseaux… Pour le "pro", repassez plus tard.
  3. Le problème des salles : en Île-de-France, moins de 4% des salles publiques programment du métal plus de 2 fois par an (source : Sacem, 2022).
  4. Festivalisation du live : Le Hellfest, fer de lance, mais vitrine unique. Les "petits" festivals (Motocultor, Xtreme Fest) bossent avec des moyens limités, dépendance à l’affiche internationale.

Quand tu vois tout ça, difficile de parler d’une "industrie" métallique solide. L’underground fait le job, mais à la petite cuillère.

Financement, subventions, reconnaissance institutionnelle : trop underground pour être aidé ?

  • En France, le métal n’est pas reconnu comme "musique de patrimoine" ou "genre prioritaire" par les instances type CNM (Centre National de la Musique), contrairement au jazz ou au classique (CNM).
  • Les aides publiques restent marginales (moins de 1 % des subventions musiques actuelles pour le métal en 2022, selon la Fédélima), la majorité allant vers la "chanson française" ou l'urbain – plus bankable, donc politiquement sexy.
  • Les réseaux pro comme la Fédélima ou le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) voient le métal comme un cousin bizarre, utile pour cocher la case "diversité Underground."
  • Autoproduction quasi-obligatoire : crowdfunding, Tipeee, merchandising en direct sur Bandcamp. Exemple : The Great Old Ones, plus de 10 000€ récoltés pour leur tournée US grâce au financement participatif (source : Ulule – projet 2023).

Oui, la passion maintient tout debout. Mais sans réseau ni appui lourd, la reconnaissance institutionnelle ressemble plus à une légende urbaine qu’à une réalité.

Ce qui fonctionne malgré tout : la rage, le do-it-yourself, l’alliance avec l’étranger

Parce qu’on ne va pas juste cracher dans la soupe (surtout quand c’est un bouillon de blasts), force est de constater :

  • L’esprit DIY propulse des labels (Les Acteurs de l’Ombre, Musicfearsatan), fanzines, assos (Metallian Productions, Dead Pig, Brutal Assault Crew) qui font tourner la machine à la force des poignets. Parfois plus efficaces que les "pros".
  • Coopérations avec l’étranger : groupes comme Regarde Les Hommes Tomber, Hangman’s Chair (avec Spinefarm, Season of Mist International) utilisent la structure française pour le terreau local, mais passent la seconde à l’international pour les grosses cartouches : tournées, distribution, promo allgrav’.
  • Le digital fracasse les portes – Bandcamp, YouTube... The Dali Thundering Concept a aligné plus de 4 millions de streams sans avoir jamais signé chez un major, via la viralité de clips autoproduits.

Des pistes pour que la France passe la seconde (sans caler)

  • Renforcer la présence de managers et tourneurs spécialisés. Pourquoi ne pas créer un réseau de pros dédiés métal, façon compagnonnage old school ?
  • Ratiboiser la frontière entre subventions publiques et genres "reconnus" : un lobbying à la suédoise, où le métal fait partie du patrimoine culturel (voir l'exemple du musée du métal de Stockholm, Sweden.se).
  • Plus de partage de savoir-faire studio : workshops, masterclasses, résidences dédiées (ex. Studio des Variétés à Paris – qui lance de vraies sessions métal… une fois tous les cinq ans).
  • Mutualisation des moyens pour la promo et la tournée : packs partagés d’achat groupé, via assos ou plateformes dédiées (voir le collectif Metal Alliance, Nantes).
  • Les médias spécialisés doivent faire front. Face à la disparition des émissions TV/Radio métal (R.I.P. "Une Dose de Metal" sur MCM), les webzines, podcasts et chaînes YouTube sont les nouveaux réseaux de promo intelligente.

Conclusion ouverte : Un système bancal mais increvable

Le métal français n’a pas les reins d’une industrie huilée, mais il garde une colonne vertébrale plus solide que certains édifices patrimoniaux. Les structures de production traditionnelles patinent à suivre la créativité et la fureur de la scène, mais des poches de résistance font émerger des œuvres à l’impact mondial. À défaut d’être un pays où le métal est institutionnalisé, la France cultive un goût du bricolage féroce… et parfois, c’est ce qui rend les disques et les tournées inoubliables.

Les mastodontes US ou scandinaves peuvent aligner budgets faramineux et équipes pléthoriques : ici, la sueur et la démerde font le ciment. Mais gare au jour où les prods hexagonales décideront de s’unir, parce que ce chaos-là pourrait vraiment faire trembler les murs de l’Europe… et finir par percer le plafond de verre.

Pour aller plus loin

En savoir plus à ce sujet :