Imagine. Tu crées un groupe, tu répètes jusqu’à te limer les phalanges, tu composes du riff vénère à la Gojira, tu rêves de pogos qui collent les murs, et puis… rien. Pas de plateau, pas de scène, pas de public sauf ton cousin qui filme un Instastory floue. Désillusion maximum. Ironie mordante : dans un pays où on se vante d’avoir un tissu culturel tissé serré, la scène locale metal, elle, ressemble à un vieux t-shirt de tournée Bathory : usé, troué, et plus vraiment portable.
En France, entre 2007 et 2022, le nombre de lieux de musique live a fondu de presque 20% (source : CNM, rapport 2023). Certaines villes moyennes n’abritent plus aucune salle indépendante capable d’accueillir un set de death ou de hardcore : “trop de bruit pour les voisins”, “trop risqué pour le bar”, ou, version premium, “pas assez rentable”. Oui, on a Redouane Bougheraba et Vianney partout, mais pour Entombed version kebab-frites… cassez-vous les métalleux (Le Monde, 2021).
On veut nous faire croire que le live est secondaire, que “ça tourne sur Deezer, c’est déjà bien”. Foutaises. Aucun algorithme ne compense la sueur, le feedback d’un 4x12 qui t’arrache la carotide, ou la communion presque religieuse d’un pogo dans une MJC au lino collant. La scène locale, c’est :
Les groupes qui marquent, même les mastodontes ricains, sont tous passés par là. La scène. Pas uniquement la répète en studio avec un click track stérile.
Sans vivier de petits concerts, la diversité s’effondre. C’est mathématique. Moins de salles, des programmateurs à la merci des têtes d’affiche “bankables”, et l’émergence du tribute-band “Metalcailloux” qui refait la setlist de Metallica au PMU local. Du neuf ? Que dalle.
Quelques chiffres pour la route :
Résultat ? Si t’as pas un cousin à la prog du Zénith ou si tu viens pas d’une famille “influente” (bonjour les fils d’anciens chanteurs de variétés reconvertis), t’es condamné au cycle Youtube/Grand-Est/Bar disgracieux.
Ce n’est pas qu’une histoire de “chance”. C’est une chaîne. Moins de scènes locales, c’est aussi :
La scène n’apporte pas “seulement” du live : elle crée du tissu local, elle mélange les styles, elle permet les rencontres improbables (c’est comme ça que Didier Wampas a croisé le Père Noël… et que des mecs ont lancé Gojira à Saintes-qui-pue-pas-le-glam).
On va pas se mentir. Il y a de la culpabilité pour tout le monde :
On aime bien se moquer de la Belgique (et ses bières qui cognent) mais question soutien local, les Wallons mettent le paquet : le réseau Courants d’Airs finance la majeure partie des locations de salle pour les groupes en développement, et tout nouveau groupe peut candidater pour une tournée-support auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce n’est pas un eldorado, mais t’as une chance concrète de claquer des concerts et d’étoffer ton réseau.
En Allemagne, la scène metal underground bénéficie du “Kulturförderung” (soutien culturel public systématique, y compris sur le circuit extrême – cf Metal Hammer Allemagne 2019) et d’une kyrielle de petites salles municipalisées où les jeunes combos peuvent jouer… parfois pour une pinte et deux Bretzel, mais le public répond présent.
En France, sauf rares exceptions (Nantes, Montpellier, l’Est qui résiste…), c’est plutôt chacun pour soi – et tant pis pour ceux qui voudraient tenter l’aventure hors covers de Nirvana.
On pourrait croire que tout est foutu. Mais non, il y a des brèches dans l’armure. Dans certaines villes, des collectifs comme Make It Sabbathy (Paris), Blow Up Fest (Lyon), ou la scène Toulousaine (Rocksane, Le Metronum) osent programmer des soirées metal avec du sang neuf. Certes, il faut rameuter le public comme un parrain de la mafia, mais l’énergie est là… pour peu qu’on ne laisse pas la paperasse (et le voisin antisocial) faire la loi.
Quelques pistes concrètes qui marchent (ou pourraient marcher) :
C’est donc une question de volonté collective plus que d’impossibilité structurelle.
Sans scènes locales, le metal ne se renouvellera plus : il recycle, il stagne, il s’auto-parodie. Regardez combien de groupes émergents français sont passés à l’échelle supérieure ces dix dernières années… De mémoire : Regarde Les Hommes Tomber, Fange, Pertubator (ok, un peu synth mais il vient du giron metal), Fractal Universe. C’est tout ? Non, mais pas loin.
Le constat est là. La scène locale est l’humus, le terreau, la cloche à fromage du metal français. Sans elle, rien ne pousse, tout se fige sous le formica des comptoirs.
Le seul vaccin contre l’immobilisme, c’est la sueur sous les néons poussiéreux des salles de banlieue, les retours de baffle mal réglés, le catering 100% chips-blonde tiède. C’est là, et seulement là, que naîtront les prochains monstres. Le metal français sera bruyant, ou ne sera pas.