Le black metal débarque en France à la fin des années 80, porté par des influences norvégiennes et suédoises (coucou Bathory et Mayhem), mais aussi par l’envie d’explorer de nouveaux territoires sonores. Au lieu d’essayer de recopier à la lettre le modèle de leurs homologues scandinaves, plusieurs groupes français choisissent de prendre des chemins de traverse. Le résultat ? Une scène musicale bâtardisée, à la personnalité bien trempée et qui n’avait pas peur de prendre des risques.
Des groupes comme Les Légions Noires (Noirceur, Vlad Tepes, Torgeist…) ont incarné cet esprit DIY, préférant enregistrer leurs démos dans des conditions dignes d’un bunker humide plutôt que de viser une production “propre”. Ce choix, loin d’être une contrainte, est devenu une véritable signature sonore. Leur esthétique crue et impuriste reflète autant leur rejet des conventions que la quête d’une authenticité quasi nihiliste.
Impossible de parler du black metal français des années 90 sans évoquer Les Légions Noires, ce collectif originaire de Bretagne. Leur musique et leur univers flirtent avec le mystérieux, le sombre et parfois le controversé. Ces musiciens étaient de véritables fantômes, refusant tout compromis avec l’industrie musicale.
Leur impact repose autant sur leur incroyable créativité que sur leur démarche purement indépendante. Pas d’interviews, pas de gros labels, et une diffusion ultra limitée de leurs cassettes (souvent à quelques dizaines d’exemplaires seulement). Ces œuvres, trouvables uniquement via des circuits clandestins, sont devenues objets de culte dans la sphère black metal.
Musicalement, ils offraient une expérience aussi abyssale qu’inconfortable. Certaines compos rappelaient un cauchemar sonore, mais n’était-ce pas là le but ? Des murmures malins affirmaient que leur art était influencé par des rituels occultes, même si, soyons francs, il est difficile de séparer la vérité du folklore. Ce flou autour de leur identité n’a fait qu’ajouter à l’aura mythique du collectif.
S’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas enlever à la scène black metal des 90’s en France, c’est son absence totale de filtres. Cette liberté totale les a parfois menés dans des eaux troubles. Les thématiques abordées dans certains albums ou interviews ont déclenché des controverses. De l’occultisme à des provocations borderline sur l’histoire, certaines paroles et visuels dérangeants ont souvent confondu provocation artistique et véritable militantisme politique.
Parmi les figures marquantes, on retrouve le sulfureux projet Mutiilation, pionnier dans le genre raw black metal en France. Mutiilation incarne exactement cette ambiguïté entre génie musical et provocation pure. Si les amateurs louent encore aujourd'hui leur album “Vampires of Black Imperial Blood” pour sa noirceur et son désintérêt total pour l’accessibilité, d’autres dénoncent certaines de leurs postures, jugées à la limite du tolérable.
Si le black metal français des années 90 a réussi à se démarquer autant, c’est en partie grâce à son audace sonore. Beaucoup de groupes ont délibérément cherché à rompre avec les codes norvégiens et suédois. Le black metal tricolore s’est ainsi teinté d’influences variées allant du folk à l’industriel en passant par des sonorités parfois presque progressives.
Le groupe Blut Aus Nord, qui voit officiellement le jour en 1993, reste probablement l’une des formations les plus innovantes de la scène française de l’époque. Leur approche unique du genre, avec des morceaux hallucinants de dissonances et chargés d’une atmosphère cosmique, tranche clairement avec les carcans traditionnels. Dès leur premier album, “Ultima Thulée” (1995), ils montrent qu’ils sont prêts à aller là où peu osent poser les pieds.
Tout ce bouillonnement artistique s’est accompagné de son lot de polémiques. Les années 90 en France n’étaient pas seulement marquées par le musical, mais aussi par les tensions internes au sein de la communauté black metal elle-même. Certaines formations ont joué avec des thèmes et des symboles qui dépassaient la simple provocation esthétique, flirtant dangereusement avec des idéologies douteuses. Si ces dynamiques ne sont absolument pas propres à la France (pas besoin de vous rappeler Varg Vikernes et ses casseroles), elles ont contribué à ternir l’image de la scène hexagonale pour certains auditeurs internationaux.
Il faut cependant bien comprendre une chose : une partie importante de cette scène se moquait royalement des opinions extérieures. Rejetée ou adulée, elle continuait de creuser son sillon, creusant parfois trop profondément dans l’obscurité.
Alors, qu’est-ce qui fait que cette époque reste un tel point de référence malgré ses zones d’ombre ? Peut-être parce que c’était une période où le black metal se battait encore pour sa position d’outsider. Ces années 90 en France étaient une tempête chaotique où se mélangeaient une quête sincère d’expression artistique, un esprit DIY radical et une volonté de s’opposer à tout ce qui ressemblait à un conformisme musical.
Pour beaucoup de fans actuels, cette période des années 90 est devenue un âge d’or — ou plutôt un âge de ténèbres — du black metal français. Une époque où tout semblait encore possible, même au prix de l’isolement, de l’opprobre ou de la marginalité. Une époque où les cassettes se transmettaient sous le manteau, où les flyers étaient faits à la main, et où le but n’était pas de décrocher un contrat avec un gros label. C’était du chaos. Mais un chaos splendide.
La scène black metal française des années 90 a laissé une trace indélébile sur les fans et les musiciens qui ont suivi. Ce n’est pas pour rien que des groupes comme Deathspell Omega, Peste Noire ou Alcest (issus de tout autres mouvances du black) continuent de marquer l’histoire du métal hexagonal d’une manière ou d’une autre. Tous ont hérité, directement ou indirectement, de cet esprit frondeur et de cette volonté de braver les sentiers battus.
Alors, la prochaine fois qu’on vous parlera du black metal à la sauce tricolore, ne vous contentez pas de sortir les grands classiques scandinaves. Grattez un peu du côté des Légions Noires, de Mutiilation ou encore de Blut Aus Nord. Vous y trouverez bien plus que de la musique : une leçon de chaos amplifié, brut et indompté.