Le metal français, ce n’est ni Oslo ni le Midwest américain. Pendant des années, le dogme voulait qu’on fasse “à la papa” : thrash/heavy/black, sans toucher le bousin. Puis la marmite a commencé à chauffer sévère. D’un coup, growls et blast beats se sont retrouvés à draguer la trap ou à rouler des pelles à la musique électronique. Où est passé l’accent français, hein ? Pas dans le cri du coq, mais bien dans le chaos fusionné qui infecte nos scènes depuis quinze ans.
Gojira a gratté la première allumette au début 2000, mais derrière, ça s’est bousculé au portillon : explosion du deathcore, blackened tout azimut, hardcore mutant — ciao, pureté stylistique, bonjour barouf recombinant. La fusion, chez les Gaulois du blast, c’est devenu un art martial pour survivre face aux mastodontes internationaux (et snober l’élitisme de certains fans, au passage).
Évoquons les sous-genres qui font frissonner les chroniqueurs et rigolent dans la barbe des puristes :
Ce qui frappe ? L’absence totale de frontières rigides. Ça sample, ça emprunte au rap ou à la chanson française, voire au jazz. Le métal “pur jus” ? Comme la potion magique sans la recette secrète, ça n’existe tout simplement plus.
Au pays des 36 000 festivals, le Hellfest – qui programme quasiment autant de groupes français “fusionnés” que de groupes étrangers “old school” – fait figure de photo de famille. En 2023, 41% des groupes français à l’affiche étrennaient un son hybride. Ce chiffre était de 23% dix ans auparavant (source : analyse croisée du line-up officielle, édition 2013/2023). Ce boom ne vient pas de nulle part : l’international, la facilité d’accès au matos de prod (vive la MAO) et surtout les plateformes (Bandcamp, YouTube, TikTok).
Autre témoin du chambardement : en 2022, le streaming métal français a augmenté de 34% sur Spotify entre janvier et juin, soit la troisième meilleure progression européenne selon Spotify France. Les artistes les plus écoutés ? Majoritairement, des fusionneurs.
Certains hurlent à la mort de l’identité metal. D’autres voient dans ce patchwork sonore le salut du genre. Prenons deux minutes pour trancher quelques mythes :
Quelques chiffres pour secouer les certitudes :
La fusion “à la française”, c’est notre réponse au soft power Nordic, façon liberté-égalité-explosion sonore. Les Américains, scotchés par la curiosité débridée, cherchent à choper nos secrets de fabrication (lisez l’interview de Joe Duplantier pour Kerrang!, mai 2023).
Attention, tout n’est pas rose sur la planète chaos. La fusion débride les créations, mais expose aussi à :
Bref, la fusion est un cocktail dangereux à manier : savamment dosé, il transcende la scène ; bâclé, il la fait passer pour un laboratoire sans âme.
Les fusions de styles ne sont pas uniquement un effet de mode ou de facilité. Elles incarnent la meilleure arme (et parfois le plus fatal défaut) de la scène française : la capacité à brouiller les pistes, à injecter du désordre fertile dans le confort du surplace. C’est cette effervescence qui rend la scène hexagonale difficile à dompter… et donc impossible à ignorer.
À tous les apôtres du “vrai metal à l’ancienne”, la fusion n’est pas la mort du genre, c’est une renaissance permanente, à la française : imprévisible, passionnée, parfois contradictoire, toujours sincère. Et ce n’est que le début – parce que tant qu’on aura des guitares, des infrabasses et cette fâcheuse tendance à ne jamais choisir, la scène française continuera d’abattre les murs. Blanc cassé, gris/noir, et surtout rouge sang.