Des riffs incestueux et un héritage à secouer : pourquoi tout a (vraiment) explosé

Le metal français, ce n’est ni Oslo ni le Midwest américain. Pendant des années, le dogme voulait qu’on fasse “à la papa” : thrash/heavy/black, sans toucher le bousin. Puis la marmite a commencé à chauffer sévère. D’un coup, growls et blast beats se sont retrouvés à draguer la trap ou à rouler des pelles à la musique électronique. Où est passé l’accent français, hein ? Pas dans le cri du coq, mais bien dans le chaos fusionné qui infecte nos scènes depuis quinze ans.

Gojira a gratté la première allumette au début 2000, mais derrière, ça s’est bousculé au portillon : explosion du deathcore, blackened tout azimut, hardcore mutant — ciao, pureté stylistique, bonjour barouf recombinant. La fusion, chez les Gaulois du blast, c’est devenu un art martial pour survivre face aux mastodontes internationaux (et snober l’élitisme de certains fans, au passage).

Deathcore, blackened, post-quoi-encore ? Les labos sonores de l’Hexagone

Évoquons les sous-genres qui font frissonner les chroniqueurs et rigolent dans la barbe des puristes :

  • Deathcore : La greffe entre gras death et breakdowns hardcore. Derrière Betraying the Martyrs, LANDMVRKS ou Kadinja, des ventes à l’export (Betraying the Martyrs, premier groupe français signé sur Sumerian Records en 2011) et un succès streaming solide (plus de 84 millions de streams cumulés chez LANDMVRKS sur Spotify, source Spotify Charts 2023).
  • Blackened : Quand le black metal fusionne avec du death, du doom, voire du punk. Regarde du côté de Regarde Les Hommes Tomber ou Pestiferum pour la crasse élégante et la transcendance bien glauque à la française (les premiers ont été programmés à Roadburn et Hellfest – pas juste en “première scène”, mais au cœur de la bête noire).
  • Post-metal/hardcore/whatever : Ici, c’est le bac à sable total. Celeste (qui a signé sur Nuclear Blast en 2021), Year of No Light, HANGMAN’S CHAIR : chacun bricole et mélangent sludge, shoegaze ou influences électro (voir la collab HANGMAN’S CHAIR x Perturbator au Hellfest 2023).

Ce qui frappe ? L’absence totale de frontières rigides. Ça sample, ça emprunte au rap ou à la chanson française, voire au jazz. Le métal “pur jus” ? Comme la potion magique sans la recette secrète, ça n’existe tout simplement plus.

Chroniques d’une métamorphose annoncée : chiffres et coups de gong

Au pays des 36 000 festivals, le Hellfest – qui programme quasiment autant de groupes français “fusionnés” que de groupes étrangers “old school” – fait figure de photo de famille. En 2023, 41% des groupes français à l’affiche étrennaient un son hybride. Ce chiffre était de 23% dix ans auparavant (source : analyse croisée du line-up officielle, édition 2013/2023). Ce boom ne vient pas de nulle part : l’international, la facilité d’accès au matos de prod (vive la MAO) et surtout les plateformes (Bandcamp, YouTube, TikTok).

Autre témoin du chambardement : en 2022, le streaming métal français a augmenté de 34% sur Spotify entre janvier et juin, soit la troisième meilleure progression européenne selon Spotify France. Les artistes les plus écoutés ? Majoritairement, des fusionneurs.

  • LANDMVRKS (deathcore/melodic hardcore) : plus d’1 million d’auditeurs mensuels sur Spotify en 2023.
  • Celeste (blackened/post-hardcore) : plus de 500 000 écoutes mensuelles après signature sur Nuclear Blast.
  • Déluge (blackgaze/atmo) : leur dernier album classé #17 Top ventes Fnac (catégorie rock/metal national) en 2022.

La fusion : syndrome du caméléon ou matrice d’innovation ?

Certains hurlent à la mort de l’identité metal. D’autres voient dans ce patchwork sonore le salut du genre. Prenons deux minutes pour trancher quelques mythes :

  1. Le syndrome Netflix : À force de tout mélanger, plus rien ne ressemble à rien ? Faux. La signature française, c’est justement cette inconstance : la “french touch” du metal, c’est la bidouille permanente, de Loudblast à Ze Gran Zeft en passant par Igorrr (dont l’album “Spirituality and Distortion” s’est classé #1 sur les ventes Bandcamp France à sa sortie en 2020 – source Bandcamp Weekly).
  2. L’exil des puristes : Les puristes râlent, mais les jeunes mordent à l’hameçon. Sur les forums de Metalorgie, les topics sur les groupes fusion dépassent largement ceux sur les héritiers du true black à la française (stat de modération 2023, consultable sur metalorgie.com).
  3. Le syndrome “hors sol” : On surnage le folklore ? Non plus : Regarde Les Hommes Tomber, Celeste ou HANGMAN’S CHAIR infusent dans leurs textes et visuels un spleen et un symbolisme typiquement franco-gaulois (thèmes de la ville de Lyon, de la littérature symboliste…).

Focus sur l’influence de la fusion à l’étranger

Quelques chiffres pour secouer les certitudes :

  • Gojira en tête d’affiche à Wembley Arena en 2023, 80% du public britannique interrogé par Metal Hammer cite “la capacité du groupe à briser les codes traditionnels du metal” comme principal attrait.
  • Betraying the Martyrs et LANDMVRKS cumulent à eux seuls plus de dates en dehors de la France que dans l’Hexagone depuis 2018, respectivement 67% et 74% de leurs concerts selon Setlist.fm.
  • Igorrr passé de la scène du Motocultor à la une de Revolver Mag aux US, sur la réputation d’injecter breakcore, baroque et death dans le même shaker.

La fusion “à la française”, c’est notre réponse au soft power Nordic, façon liberté-égalité-explosion sonore. Les Américains, scotchés par la curiosité débridée, cherchent à choper nos secrets de fabrication (lisez l’interview de Joe Duplantier pour Kerrang!, mai 2023).

Le revers de la médaille : risques et impasses

Attention, tout n’est pas rose sur la planète chaos. La fusion débride les créations, mais expose aussi à :

  • Un marché ultra-fragmenté : difficile, pour les labels FR, de promouvoir un groupe de blackened synth metal à la Celeste, alors que les bacs et playlists veulent du “pur death” ou du “pur black”.
  • L’effet “catalogue IKEA” : certains albums pèchent par empilement mal fichu ; tout mélanger n’est pas gage de magie (voir les critiques parfois mitigées de Metal Injection sur les premiers EP expérimentaux de groupes comme Ten56 ou Shaârghot).
  • La tentation du name-dropping : À force de puiser dans tout, certains projets perdent en authenticité ou surjouent la carte “vitrine de sous-genres”.

Bref, la fusion est un cocktail dangereux à manier : savamment dosé, il transcende la scène ; bâclé, il la fait passer pour un laboratoire sans âme.

Hybridation, chaos et lendemain qui rugit

Les fusions de styles ne sont pas uniquement un effet de mode ou de facilité. Elles incarnent la meilleure arme (et parfois le plus fatal défaut) de la scène française : la capacité à brouiller les pistes, à injecter du désordre fertile dans le confort du surplace. C’est cette effervescence qui rend la scène hexagonale difficile à dompter… et donc impossible à ignorer.

À tous les apôtres du “vrai metal à l’ancienne”, la fusion n’est pas la mort du genre, c’est une renaissance permanente, à la française : imprévisible, passionnée, parfois contradictoire, toujours sincère. Et ce n’est que le début – parce que tant qu’on aura des guitares, des infrabasses et cette fâcheuse tendance à ne jamais choisir, la scène française continuera d’abattre les murs. Blanc cassé, gris/noir, et surtout rouge sang.

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