Soyons honnêtes : le metal progressif, ça fleure parfois la naphtaline et le patchouli. Entre les claviers qui s’éternisent et les morceaux à rallonge dignes du trip sous LSD d’un éditeur de partitions, le risque, c’est de se perdre dans la démonstration au détriment du chaos originel. Pourtant, à l’ombre des géants anglo-saxons, la scène prog française — trop longtemps caricaturée comme la cousine snob du metal hexagonal — commence à sérieusement faire bouger les lignes.
On pensait le metal prog français condamné à être un copycat de Dream Theater ou Opeth avec une baguette de pain sous le bras. Grave erreur. Depuis une poignée d’années, des groupes de passionnés sortent la tronçonneuse pour redessiner la scène. Faut-il y voir l’amorce d’une véritable réinvention ? Spoiler : la recette du pâté est en train de changer.
Statistiquement, difficile de rivaliser avec les dominations scandinaves ou américaines (en 2023, Metallica et Haken restent les plus streamés sur Spotify, source Spotify Wrapped). Mais la France, en terre de prog, a toujours eu son lot d’outsiders cultes — Gojira en figure de proue (et en mode “plus prog que tu ne le penses”, écoute From Mars to Sirius ou L’Enfant Sauvage pour t’en convaincre).
Mais la révolution actuelle ne se joue pas au niveau du mimétisme. Les nouveaux groupes puisent autant dans Magma (pour la folie barrée made in France) que dans la scène jazz, electro, post-hardcore ou même hip-hop. Le sample ? Ce n’est plus un tabou. Les machines, les effets pitch-shiftés, les boucles ambient — tout est matière à injection dans ce chaudron. On n’est plus à l’époque où Malpractice jouait au Métropolis devant 40 chevelus rêveurs.
Les chiffres sont là : la scène prog française reste confidentielle au regard des mastodontes du metal “traditionnel” (le Hellfest affiche moins de 10% de groupes à coloration prog sur ses dernières éditions, selon la programmation officielle, mais ces groupes attirent un public fidèle et de plus en plus ouvert).
En 2022, Klone annonce une tournée européenne complète en première partie de Leprous. Bilan : la moitié des dates affichent sold out sur le continent. Preuve qu’il existe une audience pour ces ovnis musicaux capables de parler aux fans de Porcupine Tree comme à ceux de Gojira ou Karnivool. Il faut y voir le signe d’une mutation en profondeur : l’auditeur est désormais moins dogmatique, cherche l’émotion pure et non le respect strict des codes.
| Groupe | Type d’évolution | Influences revendiquées |
|---|---|---|
| Hypno5e | Fusion narrative, brutalité cinéma | Cult of Luna, Tool, Gustavo Santaolalla |
| KADINJA | Djent théâtral et modernité | Periphery, Meshuggah, fusion jazz |
| Psykup | Expérimentation bigarrée, second degré | Faith No More, Mr. Bungle… et camembert |
| Fractal Universe | Death prog sophistiqué | Obscura, Cynic, jazz contemporain |
Le constat ? Ces groupes refusent le surplace. Ils mixent tout – et surtout n’importe quoi, pourvu que ça cogne. On assiste à un vrai laboratoire sonore, loin du conservatisme qui plombe parfois la scène metal française.
Le cliché, c’est le guitar hero qui fait la démonstration pendant 15 minutes et chaque batteur qui tente de battre Mike Portnoy à la double. Sauf qu’en 2024, la scène prog française remet la technicité au service du vivant. Moins d’hermétisme, plus d’émotion brute : le chant en français refait surface (cf. Lysistrata ou les morceaux récents de Klone), on ose les structures éclatées sans oublier de faire lever le poing.
Bref, fini les partitions pour conservatoire et les concepts albums paumés dans un Donjon & Dragon imaginaire. L’heure est à la sueur, aux expériences, et à une scène qui, sans bouder la technicité, joue la carte de la sincérité.
Le public hexagonal n’est pas réputé pour sa tendresse, et c’est tant mieux. D’après le rapport du CNM (Centre National de la Musique, 2023), le metal prog français ne représente que 4% des ventes d’albums du genre hors export — mais la communauté, ultra active sur les réseaux, pousse sans relâche pour que les frontières sautent. À la clé ? Un renouvellement du public : plus jeune, mais aussi plus féminin (le public des concerts prog à Paris, selon Knock Out Prod, passe de 12 à 21% de femmes entre 2015 et 2022).
Ils réclament de la surprise, du choc, du live sans filet. Les chiffres sur les plateformes streaming sont révélateurs : en 2023, KLONE comptait plus de 80 000 auditeurs mensuels sur Spotify (source Spotify), avec une part croissante d’écoutes sur des playlists non metal — signe que le crossover est désormais la règle, pas l’exception. Résultat : les vieux gardiens du temple comme les gamins échappés de TikTok se retrouvent dans la même fosse, et c’est rafraîchissant.
Ce n’est plus une mutation, c’est une véritable fuite en avant. Enfin, un genre qui n’a plus peur de prendre le risque de déplaire aux gardiens du dogme. Le metal progressif français d’aujourd’hui écrase les genres, tente des feats impossibles (regarde la collab entre KANSEIL et Hypno5e), et balance des albums qui ne cherchent plus à être “dans la norme” mais à bousculer les certitudes.
Côté scène, c’est la dynamique DIY qui tire le genre vers le haut — nombre de groupes auto-produisent, montent leurs tournées artisanales (cf. la tournée "La Relève du Chaos" de 2023, à 80% composée d’artistes français), et refusent les conventions. Les productions bénéficient d’un savoir-faire technique indéniable (merci la nouvelle génération de techniciens son, eux aussi nourris de prog, cf. interviews sur Audiofanzine).
Voilà, la France tient sans doute sa nouvelle arme : un prog démultiplié, hybride, sauvage, qui fait claquer les synapses et pas que les médiators.
La beauté du chaos, c’est qu’on ne sait jamais exactement où il va. Mais ce qui est sûr, c’est que le metal progressif français a arrêté de s’excuser d’exister, pour passer à l’attaque : plus créatif, plus ouvert, plus authentique. Si la patrie de Magma et Gojira finit par sortir un porte-étendard mondial du prog metal, personne ne pourra dire qu’il ne l’a pas vu venir.
Les acteurs de la scène, tout comme les fans, ont compris que les règles étaient faites pour être explosées, pas respectées à la lettre. La réinvention n’est pas une option, c’est une question de survie. La seule vraie question qui reste : es-tu prêt à te prendre la tempête en pleine face ?