L’étiquette “death mélodique” en 2024 : Recette usée ou terrain d’innovation ?

Il fut un temps où évoquer le “death metal mélodique” (ou melodeath, pour les fainéants du lexique) renvoyait direct à Göteborg, à la Suède plus précisément, avec quatre mecs, un pedalboard et autant d’églises brûlées que de repiquage de plans chez In Flames. Mais arrêtons deux secondes la génuflexion devant la Scandinavie. En France, des groupes décollent les affiches du passé pour gratter de nouvelles fresques sonores. Faut-il y voir une vraie révolution ou juste un jeu de recyclage entre fanboys ? Spoiler : ça dépend de l’angle, et il faut creuser.

Ce qui a (vraiment) changé dans la recette tricolore

  • L’influence black, hardcore et post-metal : Les groupes français n’ont pas peur de mélanger les arômes. Pensez à Destinity (Lyon), qui balance depuis la fin des 90s un mix énergique entre death nordique suintant et haine black metal façon Emperor, truffé de breaks “hardcoreux” venus du fond de la cave.
  • L’instrumentation variée : Les exemples pullulent où des touches électro, orchestrales et même indus se collent sur les structures. Fractal Universe injecte des solos saxophonistes sur du blast beat. Personne n’était prêt… et franchement, c’est rafraîchissant.
  • La langue française, pas seulement pour les groupes “à message” : Obsolete Theory ou Aephanemer n’hésitent pas à coller quelques refrains ou couplets en VF, traduisant une volonté de s’ancrer ici et pas juste d’appliquer la recette suédoise en chant anglais obligatoire.

Petite chronologie : la percée du death mélodique français en 6 dates

  1. 1998 : Destinity sort “Wepts From the Sky”, un des premiers albums français explicitement influencés par At the Gates.
  2. 2009 : Eths explose la scène avec un deathcore teinté de mélodies sombres (“Tératologie”).
  3. 2012 : Gorod commence à faire parler d’eux à l’international avec leur death tech mâtiné de passages très mélodiques (“A Perfect Absolution”).
  4. 2016 : Fractal Universe lance “Engram of Decline” qui injecte du jazz dans le death metal.
  5. 2019 : Aephanemer (Toulouse) signe chez Napalm Records, réussite rare pour un groupe français du genre.
  6. 2023 : Create a Kill s’inspire de la tradition mais aborde le death mélodique sous l’angle du thrash, avec un panache tricolore.

Le death mélodique français : terrain de jeu pour musiciens surdoués ou suivistes ?

Avant de sortir la sulfateuse sur les “copieurs”, quelques faits :

  • Le death mélodique n’est plus, depuis longtemps, domaine exclusif des pays froids. Selon Metal Archives, on recense aujourd’hui plus de 120 groupes “melodeath” en France (en augmentation de +60% sur dix ans), dont la moitié sont nés après 2010.
  • Si les racines restent souvent scandinaves (In Flames, Dark Tranquillity, Soilwork en boussoles esthétiques), plusieurs groupes français apportent une patte singulière. Aephanemer assume à fond l’héritage classique (inspiration Tchaïkovski, Prokofiev) et n’hésite pas à injecter des harmonies symphoniques. Leur album “Memento Mori” (2019) a reçu la bénédiction d’une partie de la presse étrangère (Metalstorm, Metal Archives).
  • Dans une veine bien plus sombre et urbaine, Ancient Settlers (entre Paris et Bilbao) injecte des éléments électroniques, surfant sur la vague de la modernisation du genre.

Chiffres et tendances : la scène française dans le viseur

  • En 2023, la France comptait 8 % de la production mondiale de death metal mélodique (source : Metal-Archives, modélisation maison ACYL), soit environ 75 nouveaux albums ou EP recensés sur la décennie.
  • L’hexagone n’accueille aucun mastodonte de la taille de Children of Bodom ou Arch Enemy dans le genre, mais des groupes comme Fractal Universe programmaient entre 35 et 45 dates par an avant le Covid, dont plusieurs aux États-Unis et en Asie (“Fractal Universe – Gig Timeline” sur setlist.fm).
  • Aephanemer explose les scores sur Spotify pour un groupe français du genre, avec plus de 50 000 auditeurs mensuels en 2024 (stat publique), là où la moyenne des autres groupes français tourne entre 1 500 et 8 000.
  • Les festivals hexagonaux – Hellfest en tête – programment régulièrement 2 à 4 groupes de death mélodique français chaque année, avec des moments forts (2019 : Destinity, Benighted ; 2023 : Fractal Universe).

Groupes à surveiller et coups de massue récents

  • Fractal Universe (Nancy) : Death technique ultra-mélodique, passages syncopés, influences jazzy. L’album “The Impassable Horizon” (2021) remet du groove et de la surprise, ce qui manque parfois chez les voisins suédois engoncés dans leurs patterns CTRL+C.
  • Aephanemer (Toulouse) : Mélodeath symphonique avec du vrai shred, un goût marqué pour la compo ambitieuse. Souvent comparés à Wintersun, mais avec une patte plus “épique-lyonnaise-sudiste” (si si, ça se sent !).
  • Stengah (Lille) : Hybridation entre death mélodique, deathcore et math (écoutez le single “Sober” de 2022), preuve que l’ouverture technique n’est pas réservée aux Scandinaves.
  • Atlantis Chronicles (Paris) : Death mélo progressif, storytelling axé sur le mythe d’Atlantide, et du tapping à tire-larigot. Leur dernier album “Nera” (2022) propose un son beaucoup plus aéré que la moyenne.
  • Alkaloid (collectif franco-allemand, car aucun complexe à s’internationaliser), qui ose du death mélodique sur bases “avant-gardiste”.

Innovations ? Ces Français qui remuent la soupe

La question du neuf, en death mélodique français, n’est pas une question de renversement brutal, façon révolution russe. L’innovation, ici, c’est la manière de détourner l’héritage et d’oser des fusions risquées.

Trois axes ressortent :

  • Hybridation extrême : Passage progressif, voix claires, claviers omniprésents. Les puristes font des cauchemars mais sur scène, le public ne bronche pas… il moshe.
  • Ouverture à d’autres styles : Le metalcore, le post-metal et même le blackgaze contaminent clairement l’ADN de certains albums récents (cf. les productions de Atlantis Chronicles post-2017).
  • Mise en avant de l’identité française : Avec l’acceptation de la langue dans le chant et des thèmes locaux – la mythologie celtique et la littérature du XIXe irriguent certains textes.

Quel avenir pour la scène death mélo tricolore ?

Longtemps, la France s’est contentée de jouer les seconds couteaux ou les outsiders, calquée sur les canons du Nordic sound. Mais 2024 offre un constat plus nuancé : la scène explose ses propres limites, s’ouvre à la saturation sans frontières, et impose ses signatures. Reste encore le défi de la visibilité internationale (label, promo, distribution...). Mais pour qui creuse au-delà des rayons new releases et du palmarès Nuclear Blast, la France propose des claques sonores et quelques coups d’avance. Qu’on se le dise, le death mélodique n’est pas qu’une affaire de latitude : à force de abraser la scène, certains groupes français pourraient bien offrir au monde le death mélodique 3.0, sauce camembert-ferraille...

Pour explorer, osez sortir des playlists balisées. Le death mélo tricolore ne manque ni de talent ni de prise de risque. Le vrai bruit de fond, c’est peut-être là qu’il prend racine.

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