Avant de parler de Trust, plantons le décor des années 80. C’est une époque où le rock et ses dérivés peinent encore à trouver leur place dans un paysage musical français dominé par la variété et la chanson à texte. Gainsbourg, Balavoine et leurs potes tiennent l’antenne. Et côté rock amplifié, on est à des années-lumière des bulldozers sonores qui explosent de l’autre côté de l’Atlantique avec Metallica ou Motörhead.
Mais voilà, les tensions sociales et politiques en France bouillonnent. La jeunesse gronde. Les influences punk et hard rock venues d’Angleterre commencent à résonner sur les chaînes hi-fi des ados qui en ont marre du gentil yé-yé ou des ballades romantiques. Trust arrive alors, la guitare (et les idées) affûtées, prêt à renverser la tendance.
Formé en 1977 par le chanteur Bernie Bonvoisin et le guitariste Norbert Krief (alias Nono), Trust explose véritablement à la fin des années 70 et au début des années 80. Leur style ? Un savant mélange de hard rock inspiré par AC/DC et d’un discours politiquement engagé. Bernie, avec sa plume acerbe, balance des textes qui dénoncent les injustices sociales, la corruption ou encore la guerre. Ajoute à ça les solos de guitare incendiaires de Nono, et tu as un cocktail prêt à enflammer n’importe quelle scène. Ou mosh pit.
Leur premier album éponyme, sorti en 1979, pose les bases. Mais c’est le deuxième opus, “Répression” (1980), qui catapulte Trust sur le devant de la scène. Avec des titres comme “Antisocial”, devenu l’hymne générationnel d’une jeunesse en colère, le groupe s’impose comme le porte-voix d’un rock francophone sans concession.
Comment parler de Trust sans évoquer “Antisocial” ? Ce titre, sorti sur l’album “Répression”, est un monument. Une dénonciation brute, crue, de l’aliénation par le travail et du conformisme ambiant. Dès les premières notes, la basse hypnotique te saisit, les guitares te blessent, et la voix éraillée de Bernie t’assène un uppercut verbal. Une chanson culte qui dépasse les frontières françaises et qui, encore aujourd’hui, fait rugir les foules à chaque concert.
Preuve de son impact, l’hymne a été repris par le groupe américain Anthrax en 1989, sous le titre “Antisocial”. Rien que ça. Si un des monstres sacrés du thrash metal te fait une cover, c’est bien que tu as ajouté une pierre angulaire dans l’immense cathédrale du metal international.
Trust, ce n’est pas qu’un son. C’est aussi (surtout ?) une attitude, une vision. Les textes cinglants de Bernie Bonvoisin ne se contentaient pas d’effleurer les sujets sensibles, ils les martelaient. Le fouet des mots dénonçait sans concession les inégalités sociales, les abus de pouvoir, et l’hypocrisie ambiante. Et tout ça, en français. Pas forcément commun à l’époque pour la scène rock et métal, où l’anglais régnait en maître absolu.
Le choix de la langue de Molière a permis à Trust de parler directement à son public, de porter un message clair, palpable, presque tactile. Et c’est là que réside l’une de leurs grandes influences sur la scène métal française. Ils ont montré qu’on pouvait faire du lourd avec des textes rageux dans notre langue. Une porte ouverte pour des groupes comme Mass Hysteria, Gojira, Lofofora… qui suivront des années plus tard.
Trust a accouché, symboliquement, d’une scène française plus audacieuse, plus prête à affronter une industrie musicale frileuse face au métal. Des groupes comme Vulcain (considérés comme les Motörhead français) ou Satan Jokers commencent à apparaître. Ces formations, bien que jouant dans des registres variés, ont souvent cité Trust comme une influence majeure.
Et pour cause : Trust s’est imposé sur scène avec des concerts explosifs et une énergie brute. Ils ont montré que oui, une scène lourde, tranchante, pouvait exister en France. Cette énergie scénique, on la retrouve aujourd’hui dans des festivals français qui rassemblent des milliers de fans de musique extrême, comme le Hellfest ou le Motocultor. Et la pierre fondatrice ? On la doit en partie au coup de massue Trust.
Faut-il le dire encore une fois ? Sans Trust, la création d'une vraie scène métal en France aurait mis bien plus de temps. Ils n’étaient pas qu’une parenthèse dans l’histoire de la musique. Leur impact s’est traduit à la fois par l’émergence d’autres groupes audacieux et par l’affirmation d’un public français de plus en plus nombreux et fidèle aux sonorités lourdes et contestataires.
Même si Trust lui-même s’est régulièrement éclipsé puis reformé (conflits internes obligent, rock star oblige…), leur empreinte reste indélébile. Leur influence n’est pas juste musicale, elle est aussi culturelle. Ils ont insufflé une sorte de “permission” pour les artistes francophones de s’emparer du métal comme un moyen d’expression brute. À leur façon, ils ont replacé les amplis français dans un monde où l’hégémonie était jusque-là anglo-saxonne.
Trust restera à jamais la rampe de lancement du métal français, ce groupe qui a embrasé la première mèche. Alors, quand tu entends un riff tranchant en français ou une voix qui crache sa colère sur une scène française, pense à eux. Ils étaient là, dans les années 80, pour ouvrir un champ des possibles que beaucoup ont foulé avec fracas.
Et si tu n’as toujours pas écouté "Antisocial" en boucle jusqu’à vouloir briser quelque chose, fais-le. Maintenant. Prends ta gratte imaginaire et hurle le refrain. Et remercie Trust d’avoir défriché ce terrain sonore. Ils ne te demandent pas beaucoup, juste de tendre l’oreille et d’honorer ce qu’ils ont semé : du chaos. Amplifié.