Le streaming a-t-il vrillé la donne ? Spoiler : ouais, et pas qu’un peu

Personne n’a demandé à Spotify, Deezer, Apple Music & co de débouler dans la fosse et de redéfinir la règle du riff. Pourtant, le streaming musical est maintenant le patron dans la chaîne alimentaire musicale, métal compris. Un pet de travers dans les algorithmes, et c’est toute la scène qui éternue. Et non, la légende des métalleux réfractaires à la tech, c’est de l’histoire ancienne – même tes t-shirts décolorés le confirment.

Quelques chiffres pour vous briser la nuque

  • 85% des revenus mondiaux de la musique enregistrée en 2023 viennent du streaming (IFPI Global Music Report 2024).
  • +70 000 morceaux publiés… par jour sur Spotify (source : Spotify, mai 2023). On vous laisse faire le calcul pour le metal underground qui se noie là-dedans.
  • En France, le streaming pèse plus de 80 % du marché de la musique enregistrée (SNEP 2023).
  • Un gros du top metal sur Spotify (Metallica, Slipknot, Gojira…) cumule entre 5 et 30 millions d’écoutes mensuelles. Un groupe français underground ? Plutôt entre 1 000 et 20 000
  • 0,003 à 0,005 € par stream en bossant avec Spotify. Autrement dit, 1 000 écoutes = un demi kebab sans boisson (calculé sur base données Spotify/SNEP).

La grande illusion : “Le streaming va sauver la visibilité des groupes”

La promesse était belle : “Oublie les maisons de disques, monte toi-même ton projet, balance ton album, la planète t’écoute !” Fast forward 15 ans : tout le monde a uploadé trois albums home studio, personne n’écoute Papy Grind Doom de Corrèze. Les algorithmes, c’est pas les potes du blast beat, faut arrêter le mythe. Les playlists éditoriales ? On rêve tous mais, dans la réalité, c’est souvent la même brochette de groupes “bankable” qui tourne.

  • La playlist “Metal Français” de Spotify, par exemple, n’affiche que 50 titres mis à jour toutes les semaines ou deux semaines max : tellement de places et des milliers de prétendants.
  • La plupart des nouveaux fans potentiels découvrent les groupes via TikTok et Instagram Reels aujourd’hui, bien plus qu’en scrollant des playlists obscures (source : Music Ally, 2023).
  • Les groupes proches des scènes “trendy” (metalcore mélodique façon Landmvrks, Spiritbox…) bénéficient beaucoup plus de l’algorithme que les ultra-undergrounds.

Streaming : la machine à visibiliser… ou la broyeuse silencieuse ?

  • Accès planétaire, ouais : tout le monde peut potentiellement t’écouter. Mais voilà, c’est surtout la jungle avec 100 fois plus de bruit. Créer sa fanbase, c’est comme growler sans micro dans un Bercy vide. C’est viral ou ça l’est pas.
  • Le streaming a démocratisé la découverte de nouveaux artistes, mais la durée d’écoute moyenne par titre a chuté : aujourd’hui, moins de 30 secondes en moyenne sur les morceaux “découverts” (Music Business Worldwide, 2022). Autant dire que ton intro progressive, personne l’entend.
  • Les outils de data dispos sur Spotify ou Apple Music sont pratiques… mais les petits groupes n’ont ni label, ni attaché de presse pour les rentabiliser.

Le streaming a-t-il tué le pognon du métal ? (Indice : il est mal en point, mais pas mort)

C’est le drame : la fameuse question du “Est-ce qu’on peut encore payer l’essence du camion avec les streams ?”. Les chiffres font saigner les yeux :

  • Il faut environ 250 000 streams mensuels pour toucher un SMIC brut grâce au streaming (toutes plateformes) (IFPI, 2023 ; calculs croisés).
  • Les labels indés spécialistes métal (Season Of Mist, Listenable, Klonosphere…) avouent : “Le streaming fait partie d’un tout, mais c’est le merch et le live qui nourrissent les groupes” (interview Season of Mist pour Metal Obs, 2022).
  • Beaucoup de groupes underground multiplient les stratégies alternatives : pressage de vinyle ultra-limités, bundles de merch, crowdfunding massif… (cf. Regarde Les Hommes Tomber avec Blood Music, de 2017 à 2022).

Retour d’expériences : qui s’en sort, qui se noie ?

  • Les mastodontes – Metallica a encaissé plus de 11 millions de dollars de revenus streaming en 2018, rien que sur Spotify (source : Loudwire, 2019). Un cas à part…
  • Gojira : plus de 2,6 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify en 2024. Le groupe peut transformer sa visibilité en salles sold out, merch, partenariats (cf. communiqué Metal Injection 2024).
  • L’école underground : les groupes comme Hangman’s Chair ou Celeste affichent de “bons” scores (>30 000 écoutes mensuelles), mais c’est la scène live et la fidélisation qui font vivre… Quand la tournée s’arrête, l’économie virtuelle tombe (cf. rapport “Comment vivre du metal underground ?”, New Noise, 2023).

Le streaming change-t-il la façon de faire du metal ? Spoiler : oui, et voici pourquoi

  • Ultra-production = ultra-concurrence : Le format album de 60 minutes, c’est moins vendeur aujourd’hui. Place aux singles, EPs ou même morceaux balancés tous les deux mois pour caresser l’algorithme dans le sens du poil.
  • Changement d’ADN : Certains groupes adaptent leurs intros, raccourcissent les morceaux ou misent sur l’impact immédiat. Terminé l’intro de six minutes à la Opeth, ça doit envoyer d’emblée (cf. The Algorithm et leur prod pensée pour le streaming).
  • Les covers et mashups viraux sont devenus une stratégie de visibilité. Un tube des années 90 façon blast beat, et hop, tu sors du lot (le “Last Resort” version deathcore d’Our Hollow, Our Home en 2021 en est un bon exemple vu le buzz généré sur TikTok et Spotify).

Au final, on assiste à une accélération des tendances. Ça peut booster la créativité, mais certains dénoncent une uniformisation sonore, une course au “stream friendly” qui aplatit tout sur son passage.

Le revers du riff : perte de contrôle et leadership des plateformes

  • Les plateformes sont juges et parties : Si ton style est jugé trop “niche” ou pas assez bankable, tu restes sur le banc de touche. Les algorithmes valorisent le mainstream… même sur la scène “extrême”.
  • Les playlists éditoriales ou gérées par des labels sont le vrai Graal, mais c’est fermé, opaque et parfois axé “gros poisson”.
  • Les données utilisateurs valent plus que la musique : l’économie du stream, c’est l’exploitation des datas d’écoute pour affiner la pub ou vendre de la visibilité aux majors (cf. rapport CNM 2023).

Le streaming : opportunité, menace… ou une balle à prendre en main ?

Bonne nouvelle (si, si) : rien n’est gravé dans le marbre, même face à la technosphère. Les groupes le prouvent : le streaming n’est ni une baguette magique, ni l’ennemi absolu. Certains en profitent comme rampe de lancement, d’autres rament ou explosent à côté parce qu’ils maîtrisent le merch, le live, voire le vinyle ultra-limité à 50 exemplaires, acheté par les nerds que nous sommes. On perd du pouvoir, on gagne en exposition… à condition de ne pas juste balancer des MP3 en espérant le miracle.

La scène métal (française surtout) a tout à gagner en mixant old school et tech. Le streaming, si on s’en sert bien — avec un storytelling béton, une DA qui marque, du contact IRL, des lives à l’arrache mais sincères — devient un outil parmi d’autres pour éviter de crever la bouche ouverte au fond du buffet.

Le streaming n’a pas tué le riff, il l’a oublié dans une playlist planquée. Reste à aller le chercher, guitare à la main et bière à la bouche. Amplifions le chaos, mais en gardant les yeux ouverts.

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