Le streaming. Ce mot magique (ou maudit) qui a révolutionné la façon de bouffer du son. Fini les balades à la Fnac, le metalhead post-2015 s’avale des kilotonnes de décibels coincé entre deux pubs pour dentifrice sur Spotify ou Deezer. Mais, on va pas se mentir : chez les métalleux, y a un léger parfum de suspicion. Est-ce que streamer du Gojira à minuit dans un squat, c’est soutenir la scène, ou juste creuser la tombe des groupes qui galèrent à remplir les caves ?
Depuis l’explosion du streaming, le métal a changé de paysage. L’industrie a paniqué, certains groupes ont pété des câbles (Metallica vs. Napster, la préhistoire), d’autres se sont adaptés. Mais en vrai, streaming, c’est la bénédiction ou le fléau du riff français ? On décortique. Sans pitié, sans filtre, sans vaseline.
En 2022, le streaming représentait 84 % des revenus de la musique enregistrée dans le monde (IFPI Global Music Report 2023). Mais attention, “revenus” ne veut pas dire “cachets pour les groupes”... On y vient.
Le streaming, c’est la corde à linge de la musique : tout le monde est pendu dessus. Mais pour les groupes, accrocher un album sur Spotify, c’est souvent la version moderne du bénévolat (sauf si tu t’appelles Slipknot).
En France, à moins d’être Gojira ou Mass Hysteria, la majorité des groupes dépassent péniblement les 100 000 streams sur une sortie. Résultat ? Au mieux, l’argent d’une sono potable… ou d’un quart d’heure de location de van hors-saison.
Bandcamp, c’est l’exception. Le fan paye direct le groupe, à sa vraie valeur (et souvent plus, sacrée communauté !). Les chiffres ne sont pas officiels, mais d’après Music Business Worldwide, en 2022, Bandcamp reversait entre 82 et 85 % du prix à l’artiste. Quand “Bandcamp Friday” débarque, c’est 100 %. Mais sauf nuit de pleine lune, les volumes sont anecdotiques face aux géants du stream.
Plus de 110 000 nouveaux titres uploadés CHAQUE JOUR sur Spotify en 2023 (Music Business Worldwide). Le métal représente 3 % des catalogues actifs sur la plateforme (Spotify Charts, 2023). L’offre explose, la demande stagne. Résultat ?
Le streaming, c’est comme un festoche avec 100 scènes en même temps. Certains tapent la tête d’affiche, les autres hurlent devant trois bourrés qui boivent des bières dégueu. Le rêve de la démocratisation ? Oui… mais aussi la noyade garantie pour 99 % des groupes.
La playlist, c’est le nouveau Saint Graal. Être ajouté à “Kickass Metal”, à “French Metal Core” ou autres dénominations testostéronées peut changer la vie d’un groupe en une nuit. Mais tout est verrouillé :
L’ironie ultime ? Avoir des fans hardcore et ne jamais atterrir dans une seule playlist “découverte”, pendant que les machines scandinaves trustent les places… Le streaming uniformise une scène qui s’est toujours revendiquée underground et différente.
Les fans de métal sont-ils plus fidèles au physique ? C’est ce que tout le monde s’est raconté en 2015. Chiffres à l’appui :
La vérité ? Le métalleux écoute en streaming, il achète à côté, mais pour la grande majorité des nouveaux fans, l’objet devient collector plutôt que standard. Les plateformes tuent-elles le physique ? Disons qu’elles lui offrent une mort douce, façon ballade planante chez My Dying Bride…
Le streaming, c’est le tri ultra-rapide : 20 secondes pour convaincre, sinon c’est le “next”. Conséquence ? Moins d’attention, moins de deep cuts, tout doit être efficace et catchy. Fini le temps des albums-concept de 74 minutes en sept actes et trois interludes bruitistes.
L’attention globale fond, la tension artérielle grimpe, le métal s’adapte ou crève. Voilà pourquoi les intros de 3 minutes de Tool font rigoler Spotify.
Tout n’est pas qu’une question de pognon. Le streaming permet aussi à des groupes français d’exporter leur boucan sans carte Vitale :
Le revers ? Dur d’exister sans promo solide ou relais dans la presse spécialisée… et les médias métal sont, eux aussi, à la merci des algorithmes (merci Facebook pour l’enterrement du reach organique…)
Quand t’es indépendant, tu dois tout faire : enregistrer l’album, le masteriser, créer la pochette, la com, et… faire la promo sur 8 réseaux, sans agence. Oui, le stream permet de diffuser sans passer par une major. Mais les outils restent limités sans promo payante ou vraie fanbase.
L’ouverture de la distribution n’efface pas les hiérarchies. Les outsiders deviennent rarement patrons. À noter : quelques labels DIY comme Season of Mist tirent leur épingle du jeu, grâce à une stratégie hybride physique/stream/présence web bien huilée.
Le streaming écrase-t-il l’économie du live, ou la relance-t-il ? Spoiler : les chiffres montrent que les deux coexistent. Les plus gros gagnants du streaming sonnent souvent sold out… dans les salles. En France, la majorité des revenus des groupes métal vient… des concerts et du merchandising (Sacem, 2023).
Le streaming n’a donc pas tué la scène, il l’a métamorphosée. La découverte passe aujourd’hui par le play, la fidélisation par la sueur des pogos et la photo avec un t-shirt collector. Tout n’est pas perdu… sauf pour ceux qui rêvent encore de s’acheter un manoir avec leurs royalties streaming.
La scène métal française ne s’est jamais contentée du statu quo. Porter haut la voix de l’underground, c’est accepter de bousculer les codes ou de se faire bousculer par la technique. Le streaming, il faut le voir comme une arène : certains y gagnent en impact, d’autres s’y heurtent à un mur. Les groupes qui résistent, innovent, cultivent leurs fans et sortent du lot vivent mieux qu’avant… mais à condition de ne pas rêver jackpot au clic.
Face à la marée numérique, il reste plusieurs chemins :
Le streaming est là, impossible de faire marche arrière. Au lieu de bouder ou de s’incliner, la scène métal (et tout métalleux qui se respecte) devrait grogner plus fort pour s’y faire entendre… et ne jamais oublier de brandir les crocs IRL, bière à la main, devant la scène. Le chaos, il faut l’amplifier – même à l’ère du numérique !