Intro : Des riffs dans les nuages, de l’argent dans les égouts ?

Le streaming. Ce mot magique (ou maudit) qui a révolutionné la façon de bouffer du son. Fini les balades à la Fnac, le metalhead post-2015 s’avale des kilotonnes de décibels coincé entre deux pubs pour dentifrice sur Spotify ou Deezer. Mais, on va pas se mentir : chez les métalleux, y a un léger parfum de suspicion. Est-ce que streamer du Gojira à minuit dans un squat, c’est soutenir la scène, ou juste creuser la tombe des groupes qui galèrent à remplir les caves ?

Depuis l’explosion du streaming, le métal a changé de paysage. L’industrie a paniqué, certains groupes ont pété des câbles (Metallica vs. Napster, la préhistoire), d’autres se sont adaptés. Mais en vrai, streaming, c’est la bénédiction ou le fléau du riff français ? On décortique. Sans pitié, sans filtre, sans vaseline.

Petit rappel : le streaming, c’est qui le boss ?

  • Spotify : 602 millions d’usagers actifs en 2024, 210 millions d’abonnés payants (Spotify newsroom, 2024). Leader absolu. Environ 30 % des streams sont catégorisés métal ou rock “énergique” dans les marchés européens. Pourtant, aucune playlist métal n’a jamais squatté le top 10 mondial.
  • Apple Music : moins focalisé “découverte indie”, plus vertical sur l’éditorial. Les métalleux y sont moins nombreux, mais le son y est moins compressé.
  • Deezer : Le poulain français, qui mise sur les scènes locales, avec des playlists “French Metal” filtrées chaque mois… mais audience bien plus réduite (60 millions d’utilisateurs dans le monde – Deezer 2023).
  • Bandcamp : Pas tout à fait du streaming façon mastodonte mais incontournable pour le métal underground. Ici, tu finances direct le groupe. Perso, j’appelle ça l’armurerie équitable du riff.

En 2022, le streaming représentait 84 % des revenus de la musique enregistrée dans le monde (IFPI Global Music Report 2023). Mais attention, “revenus” ne veut pas dire “cachets pour les groupes”... On y vient.

Quand la brume du numérique noie les euros : Comment le streaming paye (mal) les groupes

Un riff, un million de streams, deux kebabs ?

Le streaming, c’est la corde à linge de la musique : tout le monde est pendu dessus. Mais pour les groupes, accrocher un album sur Spotify, c’est souvent la version moderne du bénévolat (sauf si tu t’appelles Slipknot).

  • Combien gagne un groupe pour 1 million de streams ?
    • Spotify : environ 3700 euros pour 1 million de streams (Business of Apps, 2024).
    • Apple Music : un peu mieux, environ 7400 euros (dit Apple, 2021, données stables depuis).
    • Deezer : entre 4000 et 5000 euros, selon la source et la géographie (Deezer, Le Monde, 2023).

En France, à moins d’être Gojira ou Mass Hysteria, la majorité des groupes dépassent péniblement les 100 000 streams sur une sortie. Résultat ? Au mieux, l’argent d’une sono potable… ou d’un quart d’heure de location de van hors-saison.

Ah, mais Bandcamp ?! Le dernier bastion ?

Bandcamp, c’est l’exception. Le fan paye direct le groupe, à sa vraie valeur (et souvent plus, sacrée communauté !). Les chiffres ne sont pas officiels, mais d’après Music Business Worldwide, en 2022, Bandcamp reversait entre 82 et 85 % du prix à l’artiste. Quand “Bandcamp Friday” débarque, c’est 100 %. Mais sauf nuit de pleine lune, les volumes sont anecdotiques face aux géants du stream.

Le streaming, machine à visibilité ou miroir aux alouettes ?

Découverte ou perte dans la masse ?

Plus de 110 000 nouveaux titres uploadés CHAQUE JOUR sur Spotify en 2023 (Music Business Worldwide). Le métal représente 3 % des catalogues actifs sur la plateforme (Spotify Charts, 2023). L’offre explose, la demande stagne. Résultat ?

  • Certains groupes inconnus percent grâce à un algorithme capricieux ou une playlist bien placée.
  • La majorité fait du bruit dans le vide intersidéral, les morceaux passant inaperçus.

Le streaming, c’est comme un festoche avec 100 scènes en même temps. Certains tapent la tête d’affiche, les autres hurlent devant trois bourrés qui boivent des bières dégueu. Le rêve de la démocratisation ? Oui… mais aussi la noyade garantie pour 99 % des groupes.

Playlists et “curation” : chance ou cauchemar ?

La playlist, c’est le nouveau Saint Graal. Être ajouté à “Kickass Metal”, à “French Metal Core” ou autres dénominations testostéronées peut changer la vie d’un groupe en une nuit. Mais tout est verrouillé :

  • Des curateurs officiels très rarement français.
  • Des logiques éditoriales plus proches du “diversité apparente” que de la passion sincère.
  • Résultat : les mêmes artistes tournent en boucle (mention spéciale à Ghost et Bring Me The Horizon, alias les influenza du stream !).

L’ironie ultime ? Avoir des fans hardcore et ne jamais atterrir dans une seule playlist “découverte”, pendant que les machines scandinaves trustent les places… Le streaming uniformise une scène qui s’est toujours revendiquée underground et différente.

L’audience métal face au streaming : les irréductibles contre l’armée des boutons “next”

L’écoute “à sec” vs. l’expérience physique

Les fans de métal sont-ils plus fidèles au physique ? C’est ce que tout le monde s’est raconté en 2015. Chiffres à l’appui :

  • Le vinyle métal représentait encore 28 % des ventes de vinyles en France en 2022 (SNEP).
  • Mais la progression la plus forte vient du… streaming : +23 % d’écoute de playlists “metal” sur Spotify France entre 2021 et 2023.

La vérité ? Le métalleux écoute en streaming, il achète à côté, mais pour la grande majorité des nouveaux fans, l’objet devient collector plutôt que standard. Les plateformes tuent-elles le physique ? Disons qu’elles lui offrent une mort douce, façon ballade planante chez My Dying Bride…

Fans actifs vs. passifs : la guerre du “skip”

Le streaming, c’est le tri ultra-rapide : 20 secondes pour convaincre, sinon c’est le “next”. Conséquence ? Moins d’attention, moins de deep cuts, tout doit être efficace et catchy. Fini le temps des albums-concept de 74 minutes en sept actes et trois interludes bruitistes.

  • Un rapport IFPI de 2023 montre que 54 % des musiques métal écoutées en streaming sont des singles ou des playlists, contre 28 % d’albums complets.

L’attention globale fond, la tension artérielle grimpe, le métal s’adapte ou crève. Voilà pourquoi les intros de 3 minutes de Tool font rigoler Spotify.

Le streaming, cheval de Troie pour la scène française ?

Sortir de la cave grâce à l’algorithme… ou pas

Tout n’est pas qu’une question de pognon. Le streaming permet aussi à des groupes français d’exporter leur boucan sans carte Vitale :

  • Louvat Bros (metal prog), 65 % de leurs streams viennent de l’étranger (Deezer Data 2023).
  • Les playlists d’Amérique du Sud boostent le chiffre de Dagoba, qui y a plus d’écoute par mois qu’en France. Dingue mais vrai (Spotify Artist Analytics).

Le revers ? Dur d’exister sans promo solide ou relais dans la presse spécialisée… et les médias métal sont, eux aussi, à la merci des algorithmes (merci Facebook pour l’enterrement du reach organique…)

Le modèle DIY : le streaming arme ou boulet ?

Quand t’es indépendant, tu dois tout faire : enregistrer l’album, le masteriser, créer la pochette, la com, et… faire la promo sur 8 réseaux, sans agence. Oui, le stream permet de diffuser sans passer par une major. Mais les outils restent limités sans promo payante ou vraie fanbase.

  • En 2022, moins de 0,9 % des artistes sur Spotify ont gagné plus de 10 000 dollars sur la plateforme (Spotify Loud & Clear, 2023).
  • 95 % des revenus du stream mondial sont captés par… 0,8 % des artistes.

L’ouverture de la distribution n’efface pas les hiérarchies. Les outsiders deviennent rarement patrons. À noter : quelques labels DIY comme Season of Mist tirent leur épingle du jeu, grâce à une stratégie hybride physique/stream/présence web bien huilée.

En route pour la transhumance digitale ou le retour au live ?

Le streaming écrase-t-il l’économie du live, ou la relance-t-il ? Spoiler : les chiffres montrent que les deux coexistent. Les plus gros gagnants du streaming sonnent souvent sold out… dans les salles. En France, la majorité des revenus des groupes métal vient… des concerts et du merchandising (Sacem, 2023).

  • Ticketmaster note une augmentation de 29 % de la fréquentation des concerts de métal en France entre 2018 et 2023 (post-Covid inclus).
  • Boom des ventes de merch en parallèle aux streams qui grimpent (Hellfest 2023, merchandising en hausse de 37 % depuis 2019).

Le streaming n’a donc pas tué la scène, il l’a métamorphosée. La découverte passe aujourd’hui par le play, la fidélisation par la sueur des pogos et la photo avec un t-shirt collector. Tout n’est pas perdu… sauf pour ceux qui rêvent encore de s’acheter un manoir avec leurs royalties streaming.

Entre rage et adaptation : le métal à l’ère du stream, c’est toute une philosophie

La scène métal française ne s’est jamais contentée du statu quo. Porter haut la voix de l’underground, c’est accepter de bousculer les codes ou de se faire bousculer par la technique. Le streaming, il faut le voir comme une arène : certains y gagnent en impact, d’autres s’y heurtent à un mur. Les groupes qui résistent, innovent, cultivent leurs fans et sortent du lot vivent mieux qu’avant… mais à condition de ne pas rêver jackpot au clic.

Face à la marée numérique, il reste plusieurs chemins :

  • Explorer le phygital : albums collector, lives exclusifs, éditions limitées et présence en ligne intelligente.
  • Fédérer sa tribu sur Bandcamp, les réseaux et dans les caves sombres encore debout.
  • Accepter de jouer le jeu de l’algorithme, sans perdre son âme ni travestir son art sur l’autel du “skip” furieux.

Le streaming est là, impossible de faire marche arrière. Au lieu de bouder ou de s’incliner, la scène métal (et tout métalleux qui se respecte) devrait grogner plus fort pour s’y faire entendre… et ne jamais oublier de brandir les crocs IRL, bière à la main, devant la scène. Le chaos, il faut l’amplifier – même à l’ère du numérique !

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