Quand tout le monde remet son patch Slayer : pourquoi ce come-back fait autant de bruit ?

Qui aurait parié un vinyle de Morbid Angel il y a 15 ans que porter un t-shirt Obituary ferait cool... même chez les néophytes ? Le metal à l’ancienne – entendez thrash ciselé, death graisseux, heavy bardé de riffs à l’ancienne – s’affiche aujourd’hui partout : des petits mosh pits de clubs miteux à la tête d’affiche des plus gros festivals hexagonaux. Asphyx ramène plus de monde que la raclette du CE et le moindre tribute Metallica fait salle comble en province. Mais est-ce vraiment le signe d'une vague profonde, ou juste un effet boomerang nostalgie à la TikTok ? Face au flot de reformation, de young blood qui bave d’envie sur la prod d’il y a 30 balais, la question se pose : le old school reprend-il la couronne ou surfe-t-il sur un créneau vintage éphémère ?

Chiffres, streaming et salles pleines : les faits derrière le revival

  • Explosion du nombre de sorties old school : Entre 2019 et 2023, le nombre de groupes identifiés comme “old school death” ou “revival thrash” sur Encyclopaedia Metallum a augmenté de 38% (source : Metal Archives/open stats).
  • Affluence sur les festivals : Le Hellfest – repère de la scène extrême européenne – voit une hausse constante des têtes d’affiche old school : Iron Maiden, Judas Priest, Megadeth, Testament en 2022-2023, pendant que les jeunes pousses old school (Stälker, Enforcer, Power Trip jusqu’à la tragédie Riley Gale) font le plein sur les petites scènes (source : Hellfest, interviews Ouest-France/Le Parisien).
  • Streaming : Spotify annonce en 2023 que l’écoute des années 80’s/90’s métal progresse chaque année (+24%) contre +9% pour le metal “moderne” (nu-deathcore/core, etc. – cf. Spotify Wrapped 2023).

Les plateformes sont le baromètre du public, et c’est sans appel : le riff “old school” est plus streamé que jamais. Même YouTube voit les tutos “comment sonner comme Sepultura époque Arise” exploser en vues. Les labels ressortent à la pelle éditions vinyle et cassettes, preuve que la Kriegsmaschine du merchandising old school carbure.

Causes profondes : retour au vrai, saturation des sons modernes & autres raisons non Instagrammables

Tous les styles tournent en rond à force d’auto-plagiat, mais le métal a cette maladie chronique du “c’était mieux avant” tatouée dans son ADN. Alors, pourquoi ce besoin de revenir au son terreux et sans artifice ?

  1. Réaction logique au “over-produit” : En face du metal “moderne” (vous savez, les blast beats qui font trembler les smartphones, la prod si polie qu’on croirait écouter un échantillon d’enceinte hi-fi), beaucoup décrochent. Le retour au cru, au riffing non corrigé, c’est aussi une façon de dire stop à l’aseptisation.
  2. Des jeunes en mode archéologue : Oui, la Gen Z s’y met ! Reprise de Metallica par Stranger Things qui explose (“Master of Puppets” +650% de streams en 48h selon Billboard), emergence de bookclubs Black Sabbath sur Discord... Les “nouveaux” métalleux veulent comprendre leurs racines.
  3. Scène live underground stimulée : Les vrais savent : si la scène revival fait du bruit, c’est aussi parce que les petites salles (en France : Le Gibus, L’Usine à Istres, le Ferrailleur à Nantes) offrent une place aux groupes façon “old school”, empêchés d’accès aux gros labels, mais portés par un public fidèle.

Des groupes aux racines solides… ou juste des poseurs avec patchs neufs ?

Attention, tout ce qui brille n’est pas acier trempé. Le revival old school sert aussi de paravent à certains groupes en mal d’identité… qui n’ont parfois que la chemise à carreaux héritée du tonton et le pédalier Boss d’occaz pour valoir le label “true”. Le phénomène n’est pas nouveau :

  • Le syndrome “tribute band/live reformation” : En France, on ne compte plus les clones de Maiden, les soirées “Nostalgie Metal 80”, ou les reboots improbables (voir l’affaire Vulcain, qui tourne mieux aujourd’hui qu’en 85). Pour le meilleur, mais parfois pour le fainéant.
  • Les vrais héritiers : Certains jeunes loups balancent du thrash ou du death à faire pâlir les pionniers, tout en amenant du sang neuf : Ecstatic Vision, Skelethal, Nervosa pour le thrash/death ou Herzel côté heavy hexagonal. Pas des copieurs, des transmetteurs.

Là où ça se gâte, c’est quand le revival devient costume de scène. Beaucoup surfent sur le “look” et l’image, mais dès qu'on gratte, il n’y a pas la sueur, pas la rage, juste une posture… Un peu comme ces souvenirs d’époque qu’on encadre mais qu’on n’a jamais vécus.

Réseaux sociaux & médias : le facteur qui change tout

Impossible de bouder l’effet Insta/TikTok. Les réseaux ont dopé la visibilité du old school, pour le meilleur ou le (pas toujours) pire. Rings of Saturn, qui se fait kicker d’un label pour usage abusif de backing tracks et revient trois mois plus tard avec un son à la Sepultura... Les hype cycles s'accélèrent.

  • Mèmes et viralité : Les formats “Reacts to Pantera’s Walk” génèrent des millions de vues, relançant les vieux tubes dans la culture mainstream.
  • Vinyles et cassettes #vintage : Le marché du vinyle métal a bondi de 28% en 2023 (IFPI) ; la cassette tape quitte les brocantes pour les bacs spécialisés. Tout un pan de la jeune scène s’identifie à ces supports “old school”, quitte à ne rien avoir pour les lire.

Mais gare : le risque ici réside dans le zapping permanent. Un “revival” TikTokisé peut aussi disparaître dans la brume numérique une fois le trend passé.

Et la scène française dans tout ça ?

La France n’est pas en reste. Combien de groupes retrouvent vie sur la foi de cassettes bootlegs ou de blogs fouilleurs (Metal Integral, La Horde Noire) ? Plusieurs festivals de niche – Pyrenean Warriors Open Air (PWOA), Courts of Chaos à Plozévet – affichent sold out sur du pur old school, avec un public bien plus jeune qu’on ne veut le croire.

  • Karras, Venefixion, Mortal Scepter – autant de formations récentes qui reprennent les codes 80’s/90’s à la sauce hexagonale, sans se contenter du copier-coller.
  • Phénomène du “repressing” : Labels comme Listenable ou Inferno Records ressortent des pépites oubliées des années 80 avec succès. Les ventes ne dépassent pas les têtes d’affiche US, mais la dynamique existe.
  • Le public : 37% des tickets du Fall of Summer 2023 ont été vendus à des moins de 28 ans (organisation FOS), ce qui casse le mythe du revival réservé aux quadras nostalgiques.

Clairement, la nostalgie ne suffit pas : la scène locale bouillonne de mecs/ nanas qui ne veulent plus que le made in France soit bon que pour la baguette et le panthéon du hardcore.

Le “retour du old school” : cycle naturel, ou dernier sursaut avant le prochain assaut technologique ?

Le metal, comme tout mouvement musical un tant soit peu vivant, alterne les phases d’avant-garde et de régression saine. Le revival old school n’est ni une bible gravée dans le marbre, ni une vaguelette destinée à s’évaporer à la première averse. Mais un fait reste, blessure ouverte pour tous ceux qui croient au chaos amplifié : au-delà des chiffres, des hype et des playlists, c’est une soif viscérale d’authenticité qui brûle derrière ce retour. Ce n’est pas un “retour” fantasmé : c’est une remise en question permanente, une lutte anti-formatage.

A ce stade, un respect s’impose pour ceux qui creusent le sillon sans l’aseptiser, qu’ils soient barbus, crinières au vent, ou kids en perfectos trop grands. La tendance passera peut-être sous le radar dans quelques années, ou va se densifier jusqu’à donner naissance à une nouvelle bête de scène. Mais une chose est sûre : le metal old school, lui, ne meurt jamais vraiment. Il attend juste, patiemment, que le mur du son craque encore.

Envie d’en découdre ? Va trainer du côté des petites salles, déterre un split-vinyle ou monte ton groupe garage : puisqu’au fond, le old school n’est pas rétro, c’est éternel… à condition d’avoir le riff et la sueur.

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