Métal et machines : Histoire d’une incompatibilité fantasmée

Le cliché du métalleux allergique au BPM synthétique a la peau dure. En France, le débat sur le « trahison/renouvellement » tourne depuis les années 90, époque où les quelques chevelus osant glisser une boîte à rythme dans le riff se faisaient taxer de vendu direct à l’acide. Pourtant, la collab entre guitares saturées et électronique ne date pas d’hier : dès 1996, Treponem Pal signait Higher avec Franz Treichler (Young Gods), précurseur d’un indus imbibé de machines et de rage. Des groupes underground comme Out ou Noise Gate torturaient déjà leurs sons via trackers et synthétiseurs à l’époque où Ableton Live n’existait même pas (coucou le home studio lo-fi sur Atari).

Mais c’est autour des années 2000 que ça bascule, quand la scène alternative, poussée par la montée de l’électro à la Daft Punk, commence à injecter de l’EBM, du breakbeat, du dubstep, et autres joyeusetés numériques dans la raie de ses petits concerts de cave. L’explosion du french touch a contaminé le métal ? Oui, et salement bien.

Des groupes qui s’en foutent des frontières : Tour d’horizon des alliances

En France, certains n’ont pas juste choppé la hype deux minutes : ils en ont fait un ADN. Voici ceux qu’on n’a pas peur d’appeler « architectes du chaos électronique » :

  • Horskh (Besançon) : Leur dernier album Body (2023) marie frappe industrielle, EBM méchamment addictif et riffings nerveux. Des mecs samplés par Virgin Radio Metal et encensés dans New Noise pour leur énergie live, où pogos et stroboscopes forment un seul et même moshpit.
  • Carpenter Brut : Ok, c’est l’inverse (un mec d’abord électro, ensuite métalleux), mais sa tournée Leather Terror, avec des guests comme Kristoffer Rygg (Ulver), retourne la hiérarchie : le synthwave devient un terrain de jeu métal, et la scène headbang, néons allumés.
  • Mass Hysteria : Ces vétérans n’ont jamais hésité à saupoudrer leurs riffs de samples et de beats électro. L’album Failles (2009) est truffé de breaks électroniques signés Fred Duquesne (guitariste/producteur), posant des bases solides pour affirmer que l’électro n’est pas juste un machin d’habillage.
  • Dan Terminus (Lyon) : Avec son Synthwave Metal massive, il réunit les publics lors du Roadburn ou du Stunfest. C’est le poster boy français de l’alliance metal/synth, sans menacer ses guitares d’obsolescence.
  • No One Is Innocent : Plus discret mais efficace, le groupe intègre des séquences électro/indus sur scène, et le son de l’album Frankenstein (2018) fond les frontières.

Des featurings qui comptent

  • Igorrr (Gautier Serre) reste le chef d’orchestre du « metalbaguette hystérico-digital » : breakcore, baroque, death tout y passe, et Truchy Truchy (track de 2020) a fait couler plus d’encre et de sueur que les bulletins météo de l’été. Sur scène, Igorrr a tourné avec des pointures du metal (Tristan Shone d’Author & Punisher).
  • Shaka Ponk : Punk, funk, métal, électronique… Impossible à classer, mais le morceau I’m Picky reste la meilleure synthèse du joyeux carnage entre machines et amplis.

Au lieu de singer les US ou l’Angleterre, la scène française a réellement inventé une esthétique hybride, où basse synthétique et blast beats partagent la vedette. Pas juste une passade : une signature.

Le public français : Acheteur, passager ou chef d’orchestre ?

On entend souvent que le public français serait réticent à toute fusion : la réalité, c’est que les concerts d’Horskh, Dan Terminus ou Igorrr affichent complet dans la plupart des grandes villes. En 2023, selon Pollstar, la fréquentation des événements "metal x electro" en France a progressé de 17% en cinq ans (source : Pollstar Global Concert Pulse, 2023). Sur YouTube, les performances live d’Igorrr dépassent le million de vues pour la plupart des morceaux hybrides.

Les festivals embrayent aussi : le Hellfest n’hésite plus à programmer des sets où l’électronique est mise en avant (ex : Carpenter Brut en 2022, sur la Valley à minuit pétante). Le Motocultor et le Sylak poussent les walls of death pendant des DJ sets électro-métal. Même les aftershows du Blast Fest (Rennes) ont viré rave brutale.

Ce qui saute aux oreilles : la fusion attire autant fans de cuir que raveurs chassés du Macumba. Rarement la France a paru aussi en avance à cet endroit.

Studio et scène : Vraie hybridation ou bon vieux marketing ?

Alors, simple alibi pour draguer les playlists Spotify ou vraie expérimentation ? Côté industrie, les chiffres sont clairs : selon SNEP (Syndicat National de l'Édition Phonographique), les écoutes « metal/electro » françaises ont bondi de 25% sur 2022-2023 (source). Point notable, le ratio albums/EPs est inversé par rapport à la pop : seulement 23% des sorties hybrides sont des albums, contre 54% de maxis et singles, preuve que l’expérimentation ne s’embarrasse pas du formatage à la française.

  • Mass Hysteria : Collaboration avec les producteurs d’électro underground (DJ Pfel, Beat Torrent) pour des remixes inédits publiés hors streaming traditionnel.
  • Carpenter Brut x Converge (épique live au Hellfest 2022) : fusion totale sur scène, pas possible sur album ; le live reste le laboratoire du chaos.
  • Le projet Rétrospective Furies (2023) du collectif Metalorgie : 8 morceaux où chaque formation reprend ou refait un titre dans une veine hybride (metal indus, trap metal, synth wave metal), distribué uniquement en format dématérialisé – et playlisté dans le top 100 Spotify France métal.

Même les labels français s’adaptent : Season of Mist, référence métal extrême, a ouvert un sous-label dédié justement à l’hybridation electro/metal (Underground Activists), et des plateformes comme Kerrang! France et Loud TV consacrent des dossiers entiers à la question. Pas juste une mode, ça s’organise en coulisses.

Pourquoi ça marche (ou déraille) : Méfiances et transgressions

Derrière la fantasmagorie du « nouveau courant », il y a aussi un paquet de sceptiques. Certains considèrent la fusion métal-électro comme un nid à « gimmick » : la tentation d’en mettre plein les oreilles à coup de beatdown numérique sans renouveler vraiment la musique. Le syndrome nu metal des années 2000 hante toujours les éternels puristes.

Mais la fusion française excelle souvent à éviter le piège : en fait, plus que du marketing, c’est souvent la seule manière pour les groupes de survivre hors du purgatoire du clone US, surtout dans un pays où la radio et la TV tendent encore à bouder tout ce qui braille ou qui bippe. Horskh ou Igorrr ne sont pas des anomalies : ils sont la preuve que la scène française n’a plus peur du mix, mieux, elle en a fait sa marque de fabrique underground.

  • L’ADN français privilégie la bidouille et le DIY : d’où une hybridation naturelle, souvent très artisanale (vive le matos à la limite du court-jus).
  • Contrairement à l’outre-Atlantique, peu de « metalcore dance » calibré radio ici, mais plus de tentatives où la crasse, le bruit, l’humour et les lyrics en français fusionnent sans complexes (cf. Psykup, Ultra Vomit en live avec des beats techno entre deux conneries).

La French Touch Métalélectro, une anomalie qui s’assume

Alors, gimmick ? Mouvement ? Ce qui est sûr, c’est que la France possède désormais une scène identifiable à l’international (carpenter Brut en tête chez les Américains, Igorrr chez les festivaliers nordiques), et que ses collaborations ne se contentent pas de jouer les seconds rôles. Certes, on ne va pas remplacer le deathcore pur jus dans les caves — mais si, lors de la prochaine édition du Hellfest, les pogos se coulent dans les breakdowns techno, c’est que le terrain a muté, irréversiblement.

La question n’est plus « est-ce de la trahison ou de l’innovation », mais « qui va oser s’en emparer et lui faire mordre la poussière ». Le public français, visiblement, ne demande que ça – et pas pour une saison.

Sélection de ressources pour creuser :

La suite, ce sera peut-être une fusion entre black metal occulte et hardtek, ou le jour où les puristes headbangueront sur du 160 BPM : ce n’est pas un bug, c’est juste la mutation.

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