Avant Season of Mist : l’invisibilité française

Dans les années 90, à part quelques irréductibles fans prêts à faire passer des cassettes au fond des cartables, le métal français, à l’étranger, c’était à peu près aussi populaire que le camembert au Fort Worth Metal Fest. À part Massacra et Loudblast, qui devaient s’accrocher pour tourner hors des frontières, les groupes s’évaporaient dans les limbes. Le marché était trusté par les labels US (Roadrunner, Metal Blade) et scandinaves (Nuclear Blast, Century Media). Les prods françaises sonnaient trop souvent “chambre à coucher”, et le tricolore, ça faisait fuir les tour managers.

Season of Mist : origines et philosophie de l’offensive

Fondé en 1996 à Marseille par Michael S. Berberian, Season of Mist part sur des bases simples, presque punk : ouvrir le champ des possibles, miser sur l’avant-garde et – oh provocation – croire dur comme fer que la scène française mérite mieux qu’être backliner sur les grosses tournées. Le nom lui-même sent le « progressif », clin d’œil à Opposition d’Emperor… mais la démarche sera tout sauf contemplative.

  • 1999 : Première reconnaissance avec Oxiplegatz et Agressor
  • Début 2000s : Ouverture au black, au death et à l’expérimental (le label drague Blut Aus Nord, Arcturus, voire Mayhem plus tard…)
  • Base à Marseille, puis bureau à Philadelphie (2007), histoire d’avoir la main sur le marché US

Le placement est osé : Season of Mist veut du sale, du tordu, du culte… Mais sans céder au formatage.

Les premiers gros coups : du local à l’international

C’est facile de crier au génie après coup, mais il faut saluer le flair de Berberian. Face à une industrie qui ne misait que sur Paris ou la démo “propre”, S.O.M va parier sur :

  • Les vétérans : Loudblast, Gronibard (plus punk que grind, mais bref)
  • L’avant-garde French touch : Blut Aus Nord (le black experimental dont raffolent les webzines ricains), Anorexia Nervosa (sympho black épique), Seth

En 2003, la release de “The Work Which Transforms God” de Blut Aus Nord fait l’effet d’un pavé dans la marre chez Deathmetal.org et consorts : la France, c’est pas juste du sous-parc scandinave. Le disque se classe régulièrement dans les tops undergrounds non-français (The Quietus).

Chiffre qui pique : entre 2005 et 2020, Blut Aus Nord réalise 70% de ses ventes en dehors de la France (source : Season of Mist, interview sur Metalorgie). La majorité de ses streams viennent… d’Amérique du Nord.

Le modèle Season of Mist : export, signature et culot

Un pied en France, un pied dans le chaos mondial

  • Distribution solide : S.O.M n’attend pas Amazon ni la FNAC pour distribuer ses galettes. Dès 2004, il sécurise des deals avec Plastic Head UK, The End (US), Target (Scandinavie, Allemagne).
  • Un bureau américain : en 2007, le label ouvre une antenne à Philadelphie. Conséquence ? Les groupes français ne galèrent plus pour choper une tournée US, voire un showcase au Maryland Deathfest.
  • Promotion directe sur les radios indé US et plateformes spécialisées (Hellfest Corner, MetalSucks), avec une vraie relance média et de la pub là où ça fait mal.

La French touch du “no compromise”

  • Signature d’extra-terrestres : qui a eu le courage de signer Deathspell Omega (France), alors que même les labels black norvégiens étaient en PLS devant leur chaos conceptuel ?
  • Carrière internationale pour un groupe comme Glorior Belli, qui finira signé chez Metal Blade après un premier boost Season of Mist
  • L’engagement sur la diversité du style : chez S.O.M, on parle djent (Hacride), prog sale (Hypno5e), doom ultra-noir (Monolithe) mais toujours sans édulcorer le propos.

Quelques chiffres qui font tourner les têtes

  • Entre 1996 (création) et 2023, Season of Mist a produit/distribué plus de 300 albums d’artistes français (source : Discogs / base interne SOM, consulté 2023)
  • Près de 50% des groupes français signés par Season of Mist affichent désormais une fanbase majoritairement étrangère sur les plateformes de streaming (Spotify Wrapped, 2022)
  • Plus de 1.2 million d’auditeurs mensuels pour l’ensemble du roster français sur Spotify courant 2023 (source : Spotify for Artists, compilations Metalorgie)
  • Groupes phares ayant percé grâce à SOM : Alcest (125 000 ventes US cumulées estimées depuis 2009), Gojira (première visibilité US avant passage chez Roadrunner), Benighted (tournées Europe/US en tête d’affiche – cf. Metal Injection, 2017)
  • 15 groupes français du roster S.O.M ont joué au Roadburn, Maryland Deathfest ou Hellfest, sans parler des affiches Wacken et Summer Breeze (source : Setlist.fm, 2023)

Impact sur la reconnaissance : avant / après Season of Mist

Une évolution dans la perception du “Made in France”

  • Fin du cliché “groupe local d’ouverture” : le tricolore s’exporte, taffe en anglais, impressionne à l’international. Plus besoin de raser les murs dans les backstages du Brutal Assault.
  • Le son français est désormais sollicité pour les re-releases, les productions collaboratives avec des artistes allemands, suédois, australiens (Blut Aus Nord + Ævangelist ; Alcest + Katatonia ; Benighted sur Relapse…)
  • La reconnaissance médiatique : apparition régulière dans Decibel, Worship Metal, Kerrang!, Metal Hammer UK ou US (et pas que pour 3 lignes de review de concert)
  • Des tournées mondiales, pas seulement franco-belges : 2022, Regarde Les Hommes Tomber enchaîne le Canada et le Mexique, Benighted s’offre l’Australie (cf. Metal Injection, 2020-2022)

Saison du risque : ce que SOM a osé signer

  • Des extrêmes façon “hors calibre institutionnel” : Glorior Belli (black/blues), The CNK (indus barré), Hacride (math/death prog), Trepalium (groove death old school)
  • Énorme percée féminine et non-binaire : Amesoeurs, Fractal Universe (+ partenariat Musicians Institute LA pour l’exportation des talents)
  • Accompagnement sur la promo visuelle : vidéoclips soignés, prises de parole médiatiques sur BBC Radio, Metal Injection, etc.

SOM face au rouleau-compresseur US/Scandinave : un pied de nez réussi ?

Soyons honnêtes : le monde du métal, c’est pas le concours Lépine – soit tu ramènes une scie circulaire, soit tu restes à l’entrée avec ton étui à lunettes. Le Goliath US/Scandinave est massif. Mais Season of Mist a inversé la vapeur en jouant le jeu de l’underground international :

  • En embrassant le digital avant la majorité des labels indépendants français (distribution sur Bandcamp dès 2010, YouTube channels spécialisés…)
  • En structurant ses équipes promo pour le marché hispanophone et asiatique – Alcest en tête de file, mais aussi Hacride au Japon (cf. Oricon 2011)
  • En cultivant un espace artistique, loin du format radio friendly qui plombe parfois les signatures « faciles » de certaines majors

Enjeux actuels et ouverture future : Season of Mist, toujours à la manœuvre ?

Dire que le boulot est fini serait naïf (et franchement, c’est mal connaître l’esprit chaos du label, on n’amplifie pas le vacarme pour la photo). Aujourd’hui, la concurrence est féroce : Listenable, Les Acteurs de l’Ombre, ou Bad Reputation avancent leurs pions. Pourtant, SOM reste à la pointe :

  • Persistance à signer du “risqué” : Imperial Triumphant, Regarde les Hommes Tomber, Celeste
  • Création d’un pont France / USA / Japon pour les groupes expérimentaux (Perturbator, Oxxo Xoah, etc.)
  • Rôles de mentorat auprès de labels émergents (partenariats de distribution, masterclass sur la prod…)

Saison après saison, Season of Mist s’est imposé en pas-de-géant comme LA rampe de lancement de la scène métal française à l’export. Le mainstream leur échappe ? Tant mieux. SOM, c’est ce qui fait encore décoller la bête hexagonale hors des frontières : sans baisser l’ampli, sans langage formaté, et, surtout, sans jamais demander la permission.

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